Chronique

La Formule E, qu’on le veuille ou non

Certains m’ont trouvé grincheux, ces derniers jours, au sujet de la Formule E. J’ai donc fait appel au Jean-Marc Chaput et à la Mary Poppins qui sommeillent en moi et je suis allé « vivre » l’expérience de cet événement qui suscite curiosité et damnation selon l’endroit où l’on vit : à l’intérieur ou à l’extérieur du circuit.

D’abord, bravo aux Montréalais et aux touristes qui ont suivi les conseils des médias. Ils étaient très nombreux hier matin à avoir laissé leur véhicule et à utiliser les transports en commun (gratuits tout le week-end). Vers 9 h, les voitures de métro étaient bondées.

Le temps était splendide. Je me suis pointé sur le site de la Formule E avec un billet « admission générale » que je m’étais procuré le matin même moyennant 50 $. Une fois à l’intérieur des murs, j’ai réalisé l’ampleur des installations. C’est fou ! C’est même démentiel.

Les murets qui créent le circuit, les innombrables grilles, les bâches couvertes des logos des commanditaires, les kiosques, les stands de nourriture, les chapiteaux qui servent de paddocks, les gradins, les passerelles… C’est impressionnant. On a totalement recréé le circuit Gilles-Villeneuve, et même plus, au centre-ville.

Je suis arrivé juste à temps pour les essais libres de 10 h 30 et les qualifications de midi. Autour de moi, les réactions allaient de « Ça manque d’action ! » à « Quel drôle de son ! ».

En effet, le bruit des moteurs nous surprend au début. Il n’arrive pas à séduire les amateurs de sensations fortes.

Ceux-là réagissent aux moindres freinages. C’est ce qu’ils recherchent. Imaginez quand le pilote Sébastien Buemi, chez Renault, a heurté le muret après un difficile virage. « Bon, enfin il se passe quelque chose », a dit un spectateur près de moi.

Encore fallait-il voir l’accident. La Formule E a en commun avec la Formule 1 qu’elle offre un regard ciblé sur les choses aux spectateurs qui sont sur place. Tu ne vois que les voitures qui passent devant toi, rien d’autre. Pour avoir une vue d’ensemble, il faut regarder les écrans qui retransmettent les images de RDS, diffuseur chez nous de la course.

C’est un peu pour cela que je trouve les courses de voitures ennuyeuses. C’était drôle de voir des spectateurs hier tourner leur chaise et regarder la course sur un écran géant, faisant ainsi dos à la piste.

Mais bon, je n’étais pas venu dans cette enclave si décriée uniquement pour voir des voitures de course, je voulais aussi visiter la zone où se trouvent les kiosques faisant la promotion de l’électrification des transports. Car au fond, le but de cet événement gravite autour de cela, n’est-ce pas ? C’est du moins ce que nous répètent les organisateurs et le maire depuis des semaines.

Située dans l’un des parkings de Radio-Canada, cette zone est aussi décevante qu’innommable. C’est un ramassis de n’importe quoi.

Quelques grandes marques sont représentées, dont BMW et Jaguar. Pour le reste, on a droit à la voiture de Back to the Future et à celle de Ghostbusters, à beaucoup de jeux et à des démonstrations de vélos acrobatiques BMX.

Heureusement, l’École de technologie supérieure, Polytechnique de même que les Universités McGill, Concordia et de Sherbrooke ont des kiosques où des étudiants en génie ou en mécanique nous parlent des recherches qu’ils font dans le domaine de l’électrification. Une conversation avec Megan et Julien, deux étudiants de l’ETS qui ont travaillé à concevoir une voiture électrique fonctionnant à l’énergie solaire, a quand même fait mon bonheur et a été des plus rafraîchissante.

Et voilà donc pour la sensibilisation à l’électrification des transports. J’étais en train d’encaisser cette gifle quand je suis tombé sur un porte-parole du Salon de la voiture électrique et hybride de Montréal. Il m’a remis une invitation pour la prochaine édition qui aura lieu en avril prochain.

Quoi ? Montréal a un Salon de la voiture électrique réunissant 80 exposants et offrant la chance de faire des essais routiers, et on me casse les oreilles depuis des jours avec cette idée que la Formule E est le meilleur moyen de convaincre les Montréalais de se mettre en mode électrique ? J’ai alors eu le sentiment très fort qu’on se foutait de ma gueule.

Si on veut tenir une course de voitures dans les rues de Montréal, qu’on le dise franchement. Si le but de tout cela est de créer une attraction touristique, point à la ligne, qu’on le dise aussi.

Un de mes voisins m’a confié hier qu’il voulait aller voir les bolides de près et visiter les kiosques d’information avec ses deux fils. Quand je lui ai dit qu’il devait payer pour avoir accès à cela, il a déchanté. Il n’en croyait pas ses oreilles.

« Payer de 50 à 135 $ pour voir cela, ce n’est pas très démocratique », m’a-t-il dit. En effet, voisin, ce n’est pas très démocratique.

Une suggestion pour l’édition de l’année prochaine : il faudrait séparer le circuit de la zone « informative ». Il faudrait rendre celle-ci accessible à tout le monde. Et surtout, il faudrait l’étoffer.

En quittant les lieux, je suis tombé sur Michel, citoyen qui vit à l’intérieur du circuit, au coin de Viger et Saint-André. Il était allé faire quelques courses et rentrait chez lui avec quelques sacs. Michel avait l’intention de passer le week-end chez lui. Il avait pris congé vendredi et hier afin d’éviter les tracas causés par l’érection du tracé.

Michel a peu d’espoir de voir le circuit déplacé l’année prochaine. Il a raison. Je serais étonné que cela arrive. Ce circuit, déjà louangé par les pilotes (certains croient que c’est l’un des meilleurs de la Formule E), serait difficile à reloger. En concevoir un nouveau engendrerait des frais énormes.

Qu’ils le veuillent ou non, les Montréalais auront à vivre avec une course de Formule E chaque année au mois de juillet. Du moins pour quelques années. Qu’ils le veuillent ou non, les Montréalais devront composer avec cette décision qui leur est imposée.

Face à cela, ils auront deux choix : regarder en avant, comme le souhaite Denis Coderre. Ou regarder dans le rétroviseur, quand viendra l’heure des bilans.

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