Plaidoyer pour  une réforme de la DPJ

Le système québécois de protection de la jeunesse doit être réformé afin que les jeunes « placés » puissent bénéficier d’une qualité de vie qui leur fait actuellement défaut : c’est ce que soutient un collectif d’anciens jeunes de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), qui souhaitent alerter le futur gouvernement québécois quant aux manques du système.

« J’ai été dans six familles d’accueil différentes, dans trois foyers de groupe, j’ai été sept fois en centre jeunesse, une fois dans une maison de transition, deux fois dans des Auberges du cœur et j’ai vécu trois tentatives de retour à la maison qui n’ont jamais fonctionné », énumère Jessica Côté-Guimond. La jeune femme se décrit comme un cas « extrême » de l’instabilité que vivent les jeunes « placés » par la DPJ. 

Maintenant âgée de 29 ans, elle a été sous l’aile de la DPJ de 10 à 17 ans, jusqu’à ce qu’elle obtienne son émancipation. Son cas est « marginal », selon ses propres mots, mais il n’est certainement pas unique. Et bien qu’elle illustre une situation rare, de nombreux jeunes traversent les mêmes épreuves, à plus ou moins grande échelle.

« Le système prend le rôle d’être, symboliquement, les “parents” de ces jeunes, mais on n’arrive pas à leur fournir la stabilité pour qu’ils deviennent des citoyens établis à leur sortie », soulève Emily Laliberté, coordonnatrice du projet artistique Porte-Voix, qui vise à développer le pouvoir d’agir des jeunes placés à travers l’art et la réflexion critique.

Un grand manque à gagner

Certains progrès ont été faits depuis l’époque où elle était une enfant « placée », surtout depuis la révision de la Loi sur la protection de la jeunesse en 2006, qui a offert un meilleur encadrement. 

« Des choses ont changé, des services ont été ajoutés, des programmes ont été créés pour certains jeunes », explique Jessica, mais un vide subsiste, notamment en ce qui concerne l’accès à des soins de santé physique et psychologique adaptés, l’aide à la transition vers une vie autonome ou alors la place accordée pour que ces jeunes développent leur identité.

Ces enjeux font partie des différents problèmes soulevés par les membres du comité des jeunes de l’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP), un groupe d’anciens jeunes de la DPJ dont les trois femmes avec qui La Presse a parlé font partie, dans une lettre ouverte adressée aux chefs des partis politiques (voir la section Débats).

Des traumatismes profonds

« Pour moi, un des traumatismes qui m’est resté, c’était provoqué par le bruit d’un trousseau de clés, confie Émilie Roy. Je l’associais aux mouvements des agents, le seul son que j’entendais pendant les périodes d’isolement où on m’enfermait dans le noir pendant des heures. » 

La vue de portes magnétiques qui se ferment a également pendant longtemps déclenché des crises de panique, provoquées par le souvenir des portes se refermant derrière elle, la plongeant dans la claustration.

On a diagnostiqué à Émilie un trouble de la personnalité limite grave pendant qu’elle était « une jeune de la DPJ », à partir de ses 14 ans, jusqu’à ses 17 ans, en 2004.

« Je faisais des crises d’automutilation et la seule façon de pallier, pour le centre jeunesse, c’était de m’enfermer dans une pièce capitonnée, la porte fermée à clé. »

— Émilie, avouant ne pas s’en être « sortie indemne » psychologiquement

Son histoire, comme celle de Jessica, en est une autre particulièrement extrême, mais Émilie refuse de dire que les différentes expériences difficiles des jeunes placés, actuels et anciens, sont « des exceptions ». « C’est désolant de voir la continuité des choses, la similarité, par exemple, entre l’histoire d’un jeune qui vient de sortir et la mienne », dit la jeune femme de 31 ans.

Le « savoir expérientiel »

Les jeunes sont institutionnalisés et départis de leur individualité lorsqu’ils se retrouvent encadrés par la DPJ, soutient Jessica. L’approche personnelle est presque nulle, dépendant beaucoup de la façon de travailler de l’intervenant, selon elle.

« N’importe quel ado se cherche, mais dans un centre jeunesse, ce n’est pas possible, l’encadrement ne permet pas d’explorer son identité », dénonce Emily Laliberté.

Jessica croit que l’encadrement est nécessaire. Il faut toutefois donner aux jeunes la liberté « de se découvrir en tant que personne », mais aussi de vivre à l’extérieur des « murs » de la DPJ avant qu’ils n’en sortent pour de bon. Sans cela, comment peuvent-ils être bien outillés pour le moment où ils devront affronter la « vraie » vie d’adulte, le « vrai » monde ? se demande-t-elle. 

Finalement, les jeunes et ceux qui étaient à leur place par le passé ont un « savoir expérientiel » qui devrait être utilisé en première ligne pour améliorer le système de protection de la jeunesse, arguent les trois femmes.

« Il faut que ces jeunes puissent communiquer un savoir qui leur est propre, qu’on les écoute, affirme Émilie. Ils sont aussi les adultes de demain et si on les “scrap” avant même qu’ils ne deviennent adultes, comment pourra-t-on avoir une bonne société dans le futur ? »

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