Chronique

Les riches qui voulaient payer plus d’impôts

Ils existent depuis 2010, mais c’est un article récent dans le New Yorker qui a attiré mon attention sur leur existence : une bande de millionnaires – en fait de multimillionnaires – américains qui veulent payer plus d’impôts.

Pas moins d’impôts. Plus d’impôts.

Ils s’appellent les « Patriotic Millionaires » et ils considèrent qu’ils ne contribuent pas assez, d’un point de vue fiscal, à la redistribution de la richesse aux États-Unis.

On ne parle pas ici de gens très fortunés qui veulent donner plus de sous aux démunis avec leurs fondations.

On parle de gens qui veulent que la fiscalité soit restructurée pour qu’ils puissent contribuer directement aux politiques publiques visant à aider les États-Unis à être une société moins inégalitaire.

« Nous sommes des traîtres à notre classe sociale et fiers de l’être », disent-ils d’entrée de jeu sur la page de présentation de leur site web. « Nous sommes unis autour de notre inquiétude face à la concentration déstabilisante du pouvoir et de la richesse aux États-Unis. »

Dans le New Yorker, on fait un long article sur une des héritières de Disney, Abigail Disney, qui fait partie des membres actifs du groupe. On y apprend que l’écart entre la richesse de sa famille et la pauvreté des gens qui travaillent sur le terrain, chez Disney, la rend mal à l’aise depuis qu’elle est enfant. Et cela ne s’est pas amélioré récemment quand elle a appris qu’en 2018, le patron de la société, Bob Iger, est reparti avec 66 millions de dollars en revenu, soit plus de 1400 fois le salaire médian des employés. Le tout en sachant qu’avec les plus récentes mesures fiscales adoptées sous Trump, les Américains les plus riches paient moins d’impôts que bien des groupes plus pauvres. 

Dans le groupe, il y a aussi Steve Silberstein, pionnier de l’informatisation des bibliothèques dans le monde, la célèbre avocate Roberta Kaplan – qui a aussi mis sur pied le fonds de défense Time’s Up pour les victimes du #metoo –, Pat Stryker, richissime héritière de l’empire Stryker en technologie médicale, Lawrence Benenson, de Benenson Capital Partners, le géant du carton Dennis Mehiel, le géant du tissu Great Neck Richman, la philanthrope Molly Munger… Et la liste continue.

Dans la campagne lancée l’an dernier par ces millionnaires patriotiques pour mousser l’attention sur les réseaux sociaux, Stephen Prince, qui a fait fortune en imprimant des cartes de crédit, explique :  « Les classes ouvrières semblent avoir oublié ou ne sont pas au courant que nous, les riches, nous sommes en plein contrôle. Nous possédons le Congrès, nous possédons la Maison-Blanche. Nous, les riches, nous dirigeons le pays, pour répondre à nos besoins. Ne pas comprendre ça, c’est se mettre la tête dans le sable. Et c’est ce qui arrive, j’en ai peur. »

Selon M. Prince, l’enrichissement sans fin ne donne rien. On finit tous par mourir. Autant aider les autres.

Le groupe, donc, fait du lobbyisme. Notamment pour une augmentation des taux d’imposition pour les plus riches et aussi pour une augmentation du salaire minimum. « Nos lois ont codifié une idée maintenant acceptée, soit que des millions d’Américains qui travaillent à temps plein vivent quand même dans une pauvreté abjecte. » Autre cheval de bataille : le vote. Le groupe veut que tout le monde vote et soit engagé démocratiquement dans la vie de la cité. « Un tout petit groupe de gens utilisent leur argent pour augmenter leur pouvoir politique et utilisent ce pouvoir politique pour augmenter leur richesse. C’est en train de tuer notre pays », explique Morris Pearl, ancien directeur du géant financier BlackRock et aujourd’hui directeur du conseil consultatif de Patriotic Millionaires, dans Renegotiating Power and Money in America (Renégocions le pouvoir et l’argent aux États-Unis), un livre publié par le groupe. 

Ces multimillionnaires ne sont pas les seuls à demander des mesures pour mieux redistribuer la richesse, mesures qui les toucheraient directement.

Plusieurs candidats à l’investiture démocrate militent en faveur de changements qui toucheraient directement leur portefeuille. 

Bloomberg a publié les calculs.

Si Elizabeth Warren met son propre plan en œuvre, celle qui a gagné 846 000 $ en 2018 paierait environ 15 % de plus en impôts. 

Joe Biden : il a déclaré 4,6 millions en revenus en 2018. En vertu de ses propositions, il paierait 6 % de plus en impôts.

Bernie Sanders ? Il paierait 13 % de plus d’impôts sur ses revenus de 519 529 $…

Au Québec, avez-vous déjà entendu parler de riches gens d’affaires qui veulent payer plus d’impôts ? Qui désirent avoir l’obligation de payer plus leurs employés, de financer encore plus leur formation professionnelle pour qu’ils puissent gagner plus ? Qui, dans notre propre liste des plus fortunés, dénonce l’accès privilégié des gens d’affaires aux personnalités politiques ? 

À part la célèbre sortie d’Alexandre Taillefer en faveur d’une hausse du salaire minimum à 15 $, qui veut que la loi change pour qu’on ait plus d’égalité financière ?

Évidemment, notre situation ici n’est pas aussi polarisée qu’aux États-Unis où, depuis 40 ans, les revenus des plus riches ont augmenté de 940 %, alors que ceux des travailleurs de la base ont augmenté de 12 %. C’est juste dément. 

Mais le Canada a aussi vu la disparité de revenus augmenter depuis 20 ans. Et c’est le Conference Board qui le dit, pas Françoise David. Actuellement, si on divise la population du Canada en cinq groupes comptant le même nombre de personnes, mais en les classant selon leurs revenus, le groupe des Canadiens les plus riches gagne ensemble presque 40 % de tout l’argent, alors que le groupe des Canadiens les plus pauvres – donc le même nombre de personnes – gagne à peine plus que 7 % des revenus distribués au pays. 

Parmi les 17 pays industrialisés les plus développés, les États-Unis arrivent bons derniers en détenant le triste record des pays où il y a le plus d’inégalités, mais le Canada est en 12e place, ce qui n’est pas génial. À part les États-Unis, seuls le Japon, l’Australie, le Royaume-Uni et l’Italie font pire que nous. Le meilleur sur cette liste est le Danemark, suivi de la Norvège, de la Belgique et des autres pays scandinaves. Et la France ? Elle est en 7e place. Le sait-elle ?

Sujet à placer bien haut sur la liste des thèmes à aborder avec nos riches gens d’affaires en 2020. 

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