Mères porteuses hors Québec

La fin de la confusion ?

Liam, 2 ans et demi, est né d’une mère porteuse en Pennsylvanie. À la naissance, il pesait 10 livres 4 onces. Cindy, qui en était à son sixième accouchement, a refusé l’épidurale. Après 60 minutes de poussées, le nouveau-né s’est présenté. Tout beau, tout chaud. « L’infirmière nous l’a immédiatement donné pour qu’on puisse le porter peau à peau », raconte son père Simon Hébert, encore ému.

Mariés en 2005, Simon Hébert et John Fetto caressaient depuis longtemps le rêve d’avoir un enfant. Parce qu’ils voulaient être impliqués dès la conception, ils ont opté pour la gestation pour autrui (GPA). En toute légalité. Ils sont revenus au Québec avec, en mains, des documents légaux et un acte de naissance officiel où figuraient leurs deux noms. Pas celui de Cindy. Par conséquent, jamais ils n’avaient prévu devoir surmonter des embûches à leur retour à Montréal.

Les conjoints ont tour à tour pris un congé parental, croyant y avoir droit. Ils ont appris, après coup, que seul le père biologique de Liam (qu’ils ne souhaitent pas identifier) pouvait recevoir des prestations, et ce, après avoir prouvé son statut par un test d’ADN. Qu’était-il prévu pour le second père ? Rien. À moins d’entamer une procédure d’adoption, leur a-t-on répondu.

Officiellement, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) a plaidé que les documents américains n’avaient pas de valeur juridique au Québec. En pratique, la raison donnée aux pères a été différente. « On nous a répété qu’“utiliser” une mère porteuse était illégal. C’était clairement un jugement de valeur », souligne M. Fetto.

La gestation pour autrui – encadrée partout au Canada, sauf au Québec – n’est pas illégale, dans la mesure où la porteuse n’est pas rémunérée. Néanmoins, le contrat de GPA conclu en sol québécois est nul et de nullité absolue. Aussi certains couples préfèrent-ils se tourner vers d’autres provinces ou pays, là où leur filiation sera officialisée d’emblée avec le consentement de toutes les parties.

« Je peux comprendre que des gens ne soient pas d’accord qu’on fasse affaire avec une tierce personne pour avoir un enfant. Mais dans la mesure où l’enfant est là et qu’on n’a rien fait d’illégal, pourquoi un organisme du gouvernement nous met-il des bâtons dans les roues ? »

— Simon Hébert

Après de vaines tentatives auprès du RQAP, le couple a entrepris des démarches judiciaires. Il y a englouti plus de 20 000 $ jusqu’à maintenant. Une première étape a été franchie : dans un jugement rendu en Chambre familiale de la Cour supérieure le 20 mai 2015, le juge Louis Lacoursière a déclaré les requérants (MM. Hébert et Fetto) parents de l’enfant et a ordonné au Directeur de l’état civil d’insérer au registre l’acte de naissance délivré par la Pennsylvanie. 

« C’est une grande victoire, souligne l’avocate Doreen Brown, qui a porté le dossier. De nombreux couples qui ont eu un enfant avec une femme porteuse hors Québec ont souffert de préjudices. »

Et les prestations ? Le RQAP, qui demande un règlement à l’amiable, s’engage finalement à les verser au couple. Et, surtout, à assouplir ses règles dans le traitement des dossiers avec mère porteuse, a-t-on annoncé jeudi.

« On ne peut ignorer ce nouveau jugement. Il y aura très prochainement une nouvelle orientation afin d’assouplir les contrôles et les règles dans ces dossiers, indique Sophie Beauchemin, porte-parole du Conseil de gestion de l’assurance parentale qui administre le RQAP. Ça viendra donner un solide avantage à des papiers venant d’autres [provinces, États ou pays]. Ça va modifier les choses à l’avantage de ces familles. »

Dans la foulée du jugement rendu en mai, un comité de travail interministériel a été mis sur pied cet été pour étudier la problématique. Y participent des représentants du Directeur de l’état civil, du Conseil de gestion de l’assurance parentale et du ministère du Travail. « Nous sommes conscients que d’autres cas similaires, avec documents légaux hors Québec, se présenteront. Le but n’est pas de judiciariser tous ces cas », a alors dit Mme Beauchemin.

TRAITEMENT DISCRIMINATOIRE

« C’est une excellente nouvelle. De plus en plus de couples gais ont recours à une mère porteuse et plusieurs peinent à recevoir des prestations du RQAP », confirme Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT à Montréal.

Même quand la filiation est reconnue par d’autres instances gouvernementales (par exemple la Régie de l’assurance maladie du Québec, Passeport Canada), ces nouveaux parents se butent à un refus au RQAP, précise-t-elle.

De plus en plus de couples se tournent vers les tribunaux – certains ont même déposé une plainte à la Commission des droits de la personne –, mais d’autres abandonnent, faute d’énergie et de moyens.

« Certains ne peuvent se priver de revenus. On prive alors l’enfant de la présence de ses deux parents dans les premiers moments de sa vie », déplore Mona Greenbaum.

Professeure au département de travail social à l’Université du Québec en Outaouais, Isabel Côté ajoute que le traitement réservé par le RQAP aux pères gais ayant eu recours à une mère porteuse est hautement aléatoire. Elle mène actuellement une recherche sur le sujet.

« J’ai rencontré des pères qui devaient présenter une preuve d’un lien biologique, d’autres pas. Ça dépend de l’agent au bout du fil, dit-elle. Mais quand les hommes veulent se partager le congé parental, ça devient à tout coup problématique. »

« Quand on lit les clauses interprétatives du RQAP, on s’aperçoit qu’il y a une discrimination institutionnalisée. »

— Isabel Côté, professeure au département de travail social à l’Université du Québec en Outaouais

« Dans un couple hétérosexuel (avec ou sans GPA), le père déclaré n’a pas à passer de test biologique pour recevoir des prestations. La conjointe d’une femme qui accouche est déclarée mère sans avoir à adopter son enfant. Pourquoi chez un couple formé d’hommes (avec GPA), seul le père biologique peut-il recevoir les prestations de paternité et parentales ? C’est une double discrimination », dit Isabel Côté.

LE « NO MAN'S LAND » QUÉBÉCOIS

Les nouvelles directives devraient changer la donne. « Traiter les pères gais sur les mêmes bases que les parents d’une autre orientation sexuelle m’apparaît devoir aller de soi. »

Certains couples hétérosexuels préfèrent quant à eux passer entre les mailles du filet. « Comme il y a apparence de procréation naturelle, plusieurs ne déclarent pas le recours à une mère porteuse. On s’attarde à certains dossiers quand des indices nous laissent croire qu’il y a GPA », souligne Sophie Beauchemin.

« Parce que la gestation pour autrui est non régulée au Québec, on se retrouve dans un no man’s land, déplore Isabel Côté. Cette non-régulation entraîne toutes sortes de problèmes. Nous verrons à l’usage si le RQAP change bel et bien ses pratiques. »

Déposé en juin 2015, le rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille, qui propose une réforme du droit familial, recommande la mise en place d’un cadre juridique balisant la GPA. Cela viendrait du même coup clarifier la filiation des enfants qui en sont issus. La voie administrative (et non judiciaire) doit être privilégiée, indique-t-on. Le document est actuellement en analyse au ministère de la Justice.

« On a vécu beaucoup de stress et de frustrations, confie Simon Hébert. Nous avons même songé à quitter le Québec ; nous avions l’impression que notre famille n’y était pas la bienvenue. J’espère que la bataille qu’on a menée servira à d’autres. »

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