Mères porteuses hors Québec

Des enfants mal protégés

En raison d’un flou juridique au Québec, l’enfant né d’une mère porteuse ne devient pas d’emblée l’enfant du couple d’intention. Une aberration que l’on doit absolument corriger, indique le rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille dévoilé en juin 2015.

Au-delà du vif débat qu’elle suscite, la gestation pour autrui (GPA) est un phénomène « qui continuera d’exister ». Il y a donc devoir de protéger les enfants qui en sont issus, soulignent les experts qui proposent une réforme globale du droit familial.

« On a un droit de la famille qui est incohérent et complètement décalé par rapport aux nouvelles réalités sociales, indique Alain Roy, président du comité et professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal. On s’éloigne du projet parental. On a de la difficulté à comprendre que la filiation est une construction sociale et qu’elle n’est pas nécessairement déterminée par le sang. »

Déposé en juin 2015, le rapport intitulé Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales propose notamment une quinzaine de recommandations sur la gestation pour autrui. On y propose l’instauration d’un cadre juridique pour protéger tous les acteurs de cette pratique, soutient-on, mais surtout la porteuse et l’enfant.

Actuellement, l’article 541 du Code civil du Québec (inscrit en 1994) rend nul et de nullité absolue toute entente ou tout contrat avec une mère porteuse. La filiation, dans ce cas, est établie en fonction d’une procréation naturelle (par le sang).

À ce jour, la mère porteuse est réputée être la mère de l’enfant. Depuis peu, le droit permet néanmoins que la conjointe (ou le conjoint) du père biologique (qui a signé l’entente) puisse adopter l’enfant par consentement spécial, comme l’a exprimé la Cour d’appel en 2014. 

« QUÉBEC DOIT INTERVENIR »

Le récent jugement, rendu en mai 2015 par la Cour supérieure, devrait venir faciliter l’établissement de la filiation dans ces familles non conventionnelles. Mieux vaut néanmoins légiférer, pensent les experts. « On doit franchir le pas qui permette la filiation, sur consentement de toutes les parties, sur déclaration transmise au directeur civil. »

On n’a pas à remettre en cause la filiation d’un enfant selon les circonstances dans lesquelles il est né, souligne Alain Roy. « Refuserait-on un droit de filiation à un enfant né d’un adultère ? La question ne se pose même plus. On peut considérer les conditions de conception non conformes, mais en fin de compte, un enfant naît et doit être protégé. »

« Dans tout le débat sur la maternité de substitution, on s’est malheureusement très peu intéressé à l’intérêt de l’enfant. Il est en droit d’avoir une filiation conforme à sa réalité sociale. »

— Alain Roy, professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal

« Tant qu’il n’y aura pas encadrement, les parents ayant recours à la GPA devront compter sur le hasard pour connaître leurs droits et devoirs, dit Isabel Côté, professeure au département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais. L’encadrement doit être basé sur des données empiriques issues de la recherche et non sur des a priori. »

« Québec doit intervenir pour protéger avant tout la mère porteuse et l’enfant, affirme de son côté Louise Langevin, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et spécialiste du droit des femmes. Je suis contre la maternité de substitution, mais on ne peut plus reculer. C’est déjà permis et encadré dans le reste du Canada. Qu’on soit pour ou contre la pratique, un enfant a droit d’avoir des filiations. Ç’a un impact dans la vie courante pour ces familles. On voit le fouillis. »

Sans statut légal, le second parent n’a aucun droit en ce qui concerne l’enfant dont il prend soin : pas le droit de l’inscrire à l’école, ni de consentir à des soins médicaux, pas le droit de garde en cas de séparation…

Ailleurs au Canada

En Alberta, à Terre-Neuve, au Labrador et en Nouvelle-Écosse, la loi prévoit que des déclarations de parentalité peuvent être rendues afin d’établir la filiation avec les parents d’intention, à la suite de la naissance de l’enfant et sur consentement et renonciation de la porteuse. En Ontario, en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick, qui n’ont pas de législation spécifique, les tribunaux ont octroyé des déclarations de parentalité à des parents d’intention, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Source : Jugement Hébert-Fetto, Cour supérieure, 20 mai 2015

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