Chronique

Aux investisseurs de s’adapter

L’élection de Valérie Plante à la mairie de Montréal permettra de répondre à une question essentielle : à quel point les gens d’affaires québécois intéressés par le retour des Expos ont-ils la volonté de réussir ?

Le départ de Denis Coderre entraîne un important brassage des cartes dans ce dossier. Mais croire que sa réélection était une condition essentielle à la concrétisation du projet est farfelu.

Bien sûr, le maire sortant a donné une extraordinaire impulsion à l’idée. Il a saisi la balle au bond au moment où une personnalité crédible devait porter ce rêve. Il a accompli ce travail avec panache, notamment en établissant de solides liens avec le bureau du commissaire du baseball, et il faut lui en être reconnaissant. Si les Expos reviennent, il méritera d’être un invité d’honneur au premier match.

Mais un projet aussi complexe et coûteux ne peut être l’affaire d’une seule personne. Si la défaite de Denis Coderre met fin au souhait de revoir les Expos, ce sera le signe que les fondations de l’édifice étaient moins solides qu’on le croyait.

L’arrivée de Valérie Plante aura un immense mérite : elle mettra fin à l’opacité malsaine qui régnait à propos du financement public d’un nouveau stade au centre-ville. Jusqu’à dimanche, la stratégie semblait de mettre les Montréalais devant le fait accompli au moment opportun. Cela aurait entraîné un ressac potentiellement dévastateur pour la suite des choses. Le retour des Z’Amours sera couronné de succès uniquement s’il se fait dans la transparence absolue.

Interpeller Québec et Ottawa

Les plus pessimistes estiment que Valérie Plante, qui ne partage pas la passion viscérale de Denis Coderre pour le baseball, laissera mourir le dossier à petit feu. Cette perspective est hautement improbable. Quel avantage aurait-elle à être la fossoyeuse d’une ambition qui, si elle est menée correctement, renforcera la place de Montréal sur la scène nord-américaine ?

La nouvelle mairesse ne s’est jamais prononcée contre le retour des Expos. Mais elle est opposée à ce que les taxes des Montréalais servent à construire un nouveau stade. Cela la disqualifie-t-elle pour porter le projet à sa manière ? Pas du tout !

Quand je lui ai parlé la semaine dernière lors de sa visite à RDS, elle m’a dit appuyer le retour des Expos, même si son style ne sera pas celui de son prédécesseur. « Je ferai le travail qui a besoin d’être fait. Je comprends qu’il faut un ambassadeur, I get it ! J’avoue aussi être très enthousiaste par rapport à la Coupe du monde de soccer [en 2026]. Je veux des évènements sportifs importants à Montréal. »

C’était deux jours avant que Stephen Bronfman et Mitch Garber, deux hommes d’affaires désireux de ramener les Expos, ne donnent publiquement leur soutien à Denis Coderre dans une opération de dernière minute sentant la panique. Et même si les dirigeants du Groupe CH n’ont pas fait de pareille sortie, on imagine facilement quelle était leur préférence dans cette élection. Ainsi, dans la dernière semaine de campagne, Denis Coderre n’a pas fermé la porte à un congé de taxe foncière en faveur du Centre Bell, une idée écartée par la nouvelle mairesse.

Valérie Plante se considère comme une « alliée du sport ». Mais son engagement est d’abord envers le sport de participation (augmentation des pistes cyclables, réfection des terrains de soccer et de baseball, mise à jour des arénas). Cela ne signifie pas qu’elle boude le sport professionnel, puisqu’elle reconnaît son effet d’entraînement dans la participation populaire. Mais ses priorités sont claires et les Montréalais l’ont appuyée.

Lorsqu’elle rencontrera les membres de Québec inc. intéressés par le retour des Expos, Valérie Plante devrait en profiter pour leur rappeler que ce n’est pas la Ville de Montréal qui encaissera d’éventuelles retombées fiscales liées au retour d’une équipe des majeures. Ce sont les gouvernements supérieurs qui toucheront les impôts sur les salaires des joueurs et les revenus de la taxe de vente générés par les activités de l’équipe. C’est donc à Québec et à Ottawa qu’il faudra faire des démarches pour obtenir un appui financier à la construction d’un nouveau stade.

La mairesse pourrait contribuer à la promotion de ce dossier auprès des élus provinciaux et fédéraux. Ce serait une belle façon, pour reprendre son expression, de remplir le rôle d’ambassadeur. Et la Ville de Montréal pourrait certainement envisager des aménagements autour du nouveau stade, s’ils sont structurants pour le secteur. Et pour cela, les promoteurs devraient s’assurer de faire une place au sport de participation dans leur plan.

Bronfman et l’effet des Paradise Papers

Même si je ne perçois pas l’élection de Valérie Plante comme une catastrophe pour le retour des Expos, la journée de dimanche n’a pas été bonne pour le projet. Et cela n’a rien à voir avec son élection. Les allégations contenues dans les Paradise Papers en sont plutôt la cause.

Ces documents, dévoilés dimanche, font mal paraître Stephen Bronfman. Quand on est le leader d’un groupe ayant l’intention de demander des fonds publics pour financer – en tout ou en partie – la construction d’un stade de baseball, la perception populaire est un élément clé de l’équation. Or, les informations publiées suscitent des questions légitimes sur l’utilisation de paradis fiscaux dans la gestion de millions de dollars.

Dans un communiqué publié hier, Stephen Bronfman s’est défendu de toute irrégularité. Cette histoire risque cependant de faire des vagues longtemps.

Cela dit, les promoteurs des Expos 2.0 doivent maintenant repositionner le dossier du retour de l’équipe, qui s’appuyait trop sur Denis Coderre. On verra s’ils feront les efforts nécessaires pour avancer malgré ce dénouement électoral qu’ils ne souhaitaient pas. Cela en dira long sur leur réelle volonté de ramener l’équipe.

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