ARCHITECTURE

Carte blanche pour
boîtes noires

Quand l’architecte Natalie Dionne emboîte les boîtes noires, elle réussit à régler presque n’importe quel problème d’espace. C’est du moins l’approche qu’elle a employée dans deux maisons de Notre-Dame-de-Grâce, qui portent chacune leur boîte noire, mais bien à leur façon.

UN DOSSIER DE SOPHIE OUIMET ET D’ALAIN ROBERGE

Boîte noire I

La cuisine qui s’agrandit

Les propriétaires sont tombés amoureux de cette maison quasi centenaire au premier coup d’œil, il y a 10 ans. Restée droite et solide malgré les années, elle possède toutes les caractéristiques des demeures anciennes de Notre-Dame-de-Grâce : murs de briques rouges, fenêtres blanches à meneaux, planchers de chêne, plafond à caissons dans la salle à manger… Seul problème : la cuisine était trop petite. Le couple propriétaire, un photographe et une styliste, se sont dit qu’ils la feraient agrandir un jour.

Ce jour est venu lorsqu’ils ont eu un coup de cœur pour un projet réalisé par l’architecte Natalie Dionne. Ils l’ont alors contactée pour lui soumettre leur difficile équation : agrandir la minuscule cuisine, mais dans un espace restreint, qui donne d’un côté sur une allée et, de l’autre, sur une petite cour et un garage.

Dans plusieurs projets urbains, l’espace disponible est une contrainte importante, affirme d’emblée Natalie Dionne. Mais en contrepartie, il est intéressant de travailler avec une maison dont l’existant est aussi chargé de détails architecturaux. D’où l’importance d’opter pour la sobriété lorsqu’on intègre un ajout.

« Puisque la brique et les fenêtres étaient déjà très texturées, on y est allé avec quelque chose de très épuré. »

— Natalie Dionne

Cette boîte noire vient donc contraster avec l’existant, tout en le respectant. Le fibrociment noir dont elle est revêtue est d’ailleurs un des matériaux fétiches de Natalie Dionne : l’architecte l’a utilisé dans de nombreux projets.

L’intervention prend place aux deux niveaux de la maison, agrandissant non seulement la cuisine, mais aussi le salon au-dessus. Au rez-de-chaussée, les grandes baies vitrées permettent d’établir une connexion entre la maison et la cour. Également, l’annexe de la cuisine crée, de l’autre côté, une petite alcôve extérieure.

« Ce que les gens veulent toujours dans leurs projets, c’est davantage de lumière, et d’être plus ouverts sur le jardin », résume Natalie Dionne. « C’est une toute petite cour de ville, mais on en profite beaucoup, on est toujours dehors, renchérit la propriétaire, Josée Angrignon, qui vit dans la maison avec son mari et leur fils. On fait du barbecue toute l’année, j’y ai d’ailleurs cuit un saumon il y a deux jours ! », lance-t-elle en riant.

Comme un écrin, la boîte noire est recouverte à l’extérieur de ce revêtement noir et, dans la surface intérieure de son coffret, de bois blond. Les lattes de cèdre blanc du Québec viennent donner de la chaleur à l’ensemble et créer un cocon d’intimité sur la terrasse.

Et pourquoi « boîte noire » ? Le nom est arrivé à la toute fin du projet… et se veut un clin d’œil au métier du propriétaire, qui est photographe. À ce moment-là, personne ne pouvait prévoir que le concept ferait son bout de chemin !

Et pourtant, la suite se préparait…

Boîte noire II

Les volumes en quinconce

Après la première Boîte noire, la deuxième.

Lorsque ce couple de Notre-Dame-de-Grâce a fait appel à Natalie Dionne pour un projet d’agrandissement, celle-ci ne savait pas encore que le concept de boîte noire serait de nouveau mis de l’avant. Et pourtant, cette solution s’est encore imposée comme la bonne, deux fois plutôt qu’une !

Les propriétaires possèdent cette maison depuis un bon moment, mais pendant de nombreuses années, ils ont travaillé à l’étranger. Maintenant de retour au pays pour de bon, ils ont voulu rénover et agrandir leur résidence, située à la lisière de Westmount.

À l’origine, le rez-de-chaussée était beaucoup plus cloisonné, explique l’architecte. Là où se côtoient aujourd’hui la cuisine, la salle à manger et un bloc de services dans un même grand espace, on trouvait auparavant trois pièces fermées ! « L’organisation des pièces n’était pas optimale, c’était dû pour être révisé », estime Natalie Dionne, qui a terminé ce projet tout récemment.

Comme pour la Boîte noire I, les propriétaires souhaitaient un meilleur dialogue avec le jardin. « Ils n’ont pas le soleil dans la cour, mais ce qui est intéressant avec leur jardin, c’est qu’ils ont la vue sur ce mur de pierre au fond, avec un bel arbre fruitier. On s’est dit qu’on allait profiter de cette vue vers le jardin », ajoute Mme Dionne.

Dans ce cas précis, ce n’est pas une seule boîte qui a été greffée au bâtiment, mais deux : une au rez-de-chaussée, dans la cuisine, et l’autre à l’étage, dans la chambre. Les deux volumes sont décalés, l’un à gauche du bâtiment, l’autre à droite, si bien que celui du haut crée une alcôve en bas, couvrant la terrasse.

Jouxtant la cour, de grandes baies vitrées s’ouvrent en accordéon, amorçant un dialogue complet avec le dehors. « Ça devient une grande pièce qui s’ouvre vers l’extérieur, et le jardin est toujours lumineux », soutient l’architecte.

Deux boîtes valent mieux qu’une

Pour en arriver à ce résultat, les designers ont dû se soumettre à un ballet d’essais et d’erreurs. « On a joué avec les volumétries », souligne Natalie Dionne. Ils ont d’abord essayé d’ériger l’agrandissement d’un même côté sur toute la hauteur, mais le résultat n’était jamais optimal pour l’un ou l’autre des niveaux. « En haut, c’était plus intéressant que l’agrandissement soit à gauche et, au rez-de-chaussée, c’était mieux à droite », poursuit l’architecte. Ils ont donc décidé de séparer l’intervention en deux volumes noirs, disposés en quinconce. En bas, la cuisine s’étire vers le jardin, alors qu’en haut, c’est la chambre qui s’agrandit.

« Évidemment, on a choisi la solution la plus complexe à construire au niveau structural ! »

— L’architecte Natalie Dionne

À l’étage, la loggia est trouée de motifs de cercles, créant un garde-corps original. « Au lieu de faire un garde-corps avec une feuille de verre, par exemple, on a percé des ouvertures plus ou moins grandes dans le fibrociment en créant une sorte de motif », explique Natalie Dionne.

Maintenant que le projet est terminé et qu’il a été publié à quelques endroits, l’architecte reçoit toutes sortes de demandes de la part de clients potentiels. « C’est très amusant, parce que des gens m’appellent pour me dire : "Nous, on veut une Boîte noire III !" »

Jamais deux sans trois ?

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