Éditorial : François Cardinal

Et l’Alberta ? Elle fait sa part, elle ?

L’Ouest demande au Québec de comprendre ses inquiétudes… mais il ne fait rien pour comprendre celles du Québec.

On le sait, on l’entend chaque jour. L’Alberta et les provinces pétrolières demandent au Québec, et au reste du pays, de comprendre leur situation.

Elles sont assises sur d’importantes ressources naturelles, rappellent-elles constamment, et il est urgent d’étendre le réseau d’oléoducs pour en tirer profit. Au bénéfice de tous les Canadiens.

Soit.

Mais une question mérite d’être posée : l’Ouest tente-t-il, lui, de comprendre le message en provenance de l’Est ?

Autrement dit, le premier ministre albertain Jason Kenney et ses acolytes, qui demandent qu’on soit sensible à leur situation, font-ils le moindre effort pour prendre en considération les inquiétudes des provinces soucieuses du climat ?

Elle est là, la division du Canada aujourd’hui : entre les provinces riches en hydrocarbures et les autres. L’Alberta et ses voisines ont ainsi la forte impression que le reste du pays ne les écoute pas et, surtout, qu’il méprise l’industrie dont il tire pourtant des bénéfices (insérer ici le mot péréquation…).

Elles n’ont pas tort.

Les propos de François Legault sur le « pétrole sale » et ceux d’Yves-François Blanchet sur l’« État pétrolier » qui n’aura pas de soutien de sa part ont été inutilement provocateurs et ont jeté du pétrole sur le feu.

Mais il n’en reste pas moins que l’Alberta demande au Québec de comprendre ses inquiétudes… mais ne fait rien pour comprendre celles du Québec.

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Bien sûr, à entendre Jason Kenney et l’industrie pétrolière, l’Ouest se préoccuperait tout autant du climat que le reste du pays.

Des ressources seraient d’ailleurs investies sans compter pour réduire l’impact environnemental de la production pétrolière. Un effort qui aurait permis de ramener les émissions de gaz à effet de serre des sables bitumineux au minimum.

« Le pétrole lourd de l’Alberta a maintenant une empreinte carbone inférieure à celle du baril de pétrole lourd moyen dans le monde », s’est même vanté le premier ministre de l’Alberta lors d’une conférence à Fort McMurray cet automne.

Or c’est faux, tout simplement faux.

On pourrait citer 100 études qui démontrent que les émissions provenant des champs pétrolifères de l’Ouest sont, par baril produit, parmi les plus élevées au monde.

La revue Science a par exemple classé l’an dernier la production moyenne de pétrole du Canada au quatrième rang des plus intensifs au monde, derrière l’Algérie, le Venezuela et le Cameroun.

Et pourtant, la réponse de M. Kenney et des autres membres de la « résistance » conservatrice se résume trop souvent à une propagande de l’industrie. Et aussi, à des attaques en règle contre le Québec, comme celle qu’il s’est permise vendredi en narguant François Legault sur la crise du propane, qu’on doit aujourd’hui transporter par train… faute de pipeline.

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La menace à l’unité canadienne, elle est là : dans le mépris avec lequel chaque région répond à l’inquiétude qui s’exprime de l’autre côté du pays.

Un sondage Angus Reid publié cette semaine met justement le doigt sur le bobo, en révélant une cassure entre les priorités des Canadiens en fonction de leur province de résidence.

Une cassure nette qui incite manifestement les premiers ministres à attiser le clivage plutôt que l’inverse.

Pour les provinces de l’Ouest, la principale priorité du nouveau gouvernement Trudeau devrait être l’expansion du pipeline TransMountain (42 % de répondants), suivie d’une plus grande écoute des revendications provenant de leur région (41 %).

À l’opposé, les provinces de l’Est demandent une baisse du fardeau fiscal (34 % des répondants), suivie du respect des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada à l’horizon 2030 (32 %).

Justin Trudeau a évidemment la responsabilité de tenter de rapprocher l’Est et l’Ouest. D’être sensible à ce qui anime l’un et l’autre. Ce qu’il a fait en nommant un conseil des ministres qui répond aux doléances des deux régions. Et ce qu’il a surtout fait, ces dernières années, en étant un infatigable promoteur de TransMountain.

Voilà d’ailleurs une chose proprement incompréhensible de ce côté-ci du pays : la colère dirigée contre le chef libéral, qui a tout fait pour élargir ce pipeline, allant même jusqu’à l’acheter !

On se demande ce qu’un premier ministre conservateur aurait pu faire de plus !

Et comment ont réagi l’Alberta et la Saskatchewan ? En se battant bec et ongles contre la seule mesure environnementale capable de s’assurer de l’effort de toutes les provinces : la tarification carbone.

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Justin Trudeau a donc une responsabilité, mais l’Alberta en a une elle aussi. Celle de démontrer que ses visées pétrolières sont compatibles avec les cibles climatiques du pays.

Car pour l’instant, le Canada n’en fait pas assez pour atteindre ses objectifs à l’horizon 2030… et c’est déjà trop pour l’Ouest ! C’est toujours trop pour l’Ouest, en fait, quand il est question de climat.

L’Alberta a certes franchi un pas dans la bonne direction ces dernières semaines en proposant sa propre tarification du carbone, mais en plus d’être trop sélective, elle ne touche pas le portefeuille des citoyens. Et donc, elle ne répond pas à l’objectif visé, à savoir une réduction de la consommation de pétrole.

Or la solution à la division qui coupe le pays en deux, elle est en partie là : dans la possibilité de concilier l’exploitation des ressources naturelles et les engagements internationaux du pays. Comme l’a fait la Norvège, par exemple, en opérant une transition énergétique faible en carbone, tout en maintenant ses activités pétrolières. Transition qui s’appuie d’ailleurs sur… une taxe carbone musclée !

C’était d’ailleurs là l’essence du compromis que proposaient les libéraux dans leur premier mandat : une tarification carbone contre un pipeline.

On connaît la suite. L’Ouest a traité ce compromis comme il traite les inquiétudes climatiques du Québec et du reste du pays : avec mépris et agressivité.

Rien pour cicatriser la division qui affecte le Canada.

Rien pour rapprocher l’Alberta d’un appui national à ses demandes.

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