CHRONIQUE

Mission accomplie, Vania

« Écrivez donc de bonnes nouvelles… »

Vous m’écrivez ça des fois, sur le ton du reproche. Vous écrivez ça à tous les journalistes, j’imagine. Je vous réponds toujours la même chose, je vous réponds qu’on ne rapporte jamais les 20 000 avions qui ont décollé et atterri hier dans le monde…

Mais qu’après-demain, on va évidemment parler de l’avion qui a fait une sortie de piste à Bangkok, parce qu’une sortie de piste, c’est quelque chose qui arrive, et quelque chose qui arrive est bien souvent négatif…

Une épidémie. Des compressions. Alep-Est.

Des pertes d’emplois. Trump. L’Ebola.

Mais voilà, à la demande générale, permettez une bonne nouvelle, permettez une super belle nouvelle…

Il y aura une nouvelle école Irénée-Lussier pour les élèves poqués de Montréal et des environs.

Des poqués ?

Des autistes, des trisomiques, par exemple. Mais qui vont à l’école, qui y apprennent des choses, qui y socialisent. Des petits riens qui sont de grandes victoires, à leur échelle.

Or, ces 240 élèves sont présentement parqués dans une école d’un autre temps, une école dont je vous ai fait la visite guidée au printemps 2014 en vous racontant à quel point l’édifice est inadapté à une clientèle de jeunes qui ont des problèmes cognitifs et physiques.

Je vous avais raconté les cadres de portes de grandeur standard, pour des jeunes qui ne le sont pas : quand des éducateurs doivent s’y mettre à trois pour entrer un jeune de 20 ans en crise, ça prend des cadres de portes hors normes – adaptés – pour que personne ne se blesse…

Juste le vieux carrelage noir et blanc est un problème : c’est assez pour qu’une jeune autiste se désorganise pour la journée en le fixant trop longtemps…

Bref, Irénée-Lussier est un petit miracle tenu à bout de bras par une équipe-école du XXIe siècle… dans un immeuble du milieu du XXe.

Et depuis des années, les parents se battent, font des démarches, rencontrent des députés, les sensibilisent, obtiennent de haute lutte des rencontres avec des ministres…

Mais rien ne bougeait.

De changement de gouvernement en mesures d’austérité en remaniement ministériel, il a fallu cent fois recommencer le travail.

Puis, hier, c’est arrivé.

Hier, le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx est arrivé à Irénée-Lussier pour confirmer ce que la Commission scolaire de Montréal, des parents et l’équipe-école s’étaient fait chuchoter dans le creux de l’oreille, il y a une semaine : vous allez l’avoir, votre nouvelle école.

Je vous écris ça et j’ai le frisson. Pour vrai. Ce n’est pas un effet de plume. Parce que quand je suis allé à Irénée-Lussier, j’ai encore pu admirer la fantastique dévotion de ces parents qui ont des enfants différents, et pour qui tout dans la vie, absolument tout, est un combat. Un combat qu’ils mènent non pas par héroïsme, vous diront-ils, mais pour une raison bien simple : parce qu’ils les aiment.

Vania Aguiard aime son grand Henri-Louis. Il était tout petit quand il est entré à Irénée-Lussier et Vania n’a pas aimé ce qu’elle y a vu. Elle s’est dit que ça n’avait pas de sens, cette école inadaptée, cet escalier en forme d’Everest pour les enfants qui claudiquent, elle s’est dit qu’elle allait se battre pour qu’Henri-Louis et ses amis aient une école du XXIe siècle…

Vania était là, hier, quand le ministre Sébastien Proulx a confirmé le projet de 35 millions, financé par le plan d’infrastructures 2016-2017. « Il était venu visiter l’école en juin dernier. J’ai vu qu’il savait qu’il devait agir. M. Proulx a livré, il n’a qu’une seule parole et j’avais des larmes en le remerciant, tantôt… »

Elle insiste pour dire que les députés péquistes Alexandre Cloutier (porte-parole en matière d’éducation) et Carole Poirier (députée du coin) ont aussi mis la main à la pâte, sensibilisant leurs collègues du gouvernement pour qu’Irénée-Lussier 2.0 voie le jour. Quand je vous dis que cette nouvelle-là est positive…

Catherine Harel Bourdon, présidente de la Commission scolaire de Montréal, a eu ses passes d’armes avec le gouvernement libéral dans le passé. Hier, elle rayonnait, elle aussi espérait depuis longtemps que les plus poqués des poqués aient une école adaptée. Elle avait de bons mots pour tout le monde, incluant le nouveau ministre de l’Éducation, M. Proulx : « C’est comme un cadeau de Noël ! »

Beaucoup de parents au fil des ans se sont associés à la CSDM et à l’équipe-école pour convaincre Québec de donner à leurs enfants un édifice adapté et moderne. On n’imagine pas le nombre d’heures passées là-dessus bénévolement, les considérables frustrations qui ont émaillé le combat, le découragement, aussi…

« Tu as réagi comment en apprenant la nouvelle, Vania ?

— J’ai dû m’asseoir ! Cinq ans à ne pas lâcher, à retravailler le projet, à parler à des députés de tous les partis, à des ministres. C’était ma mission que ça marche avant que Louis ne sorte d’Irénée-Lussier… »

C’est vrai, c’était sa mission. Elle me l’avait dit, en 2014.

L’ironie, c’est qu’Henri-Louis aura bientôt 21 ans : il est finissant à Irénée-Lussier. Il la quittera en juin prochain.

Cette nouvelle école pour laquelle sa mère Vania s’est battue, Henri-Louis ne la fréquentera donc jamais.

Vania s’en doutait bien. Ça n’a pas émoussé sa passion et son obsession pour la nouvelle école.

Comment tu m’avais dit cela, il y a deux ans et demi, Vania ?

Laisse-moi fouiller…

Ah oui, voilà, tu m’avais dit : « Ça dépasse mon fils. »

Et encore aujourd’hui, j’ai le frisson en lisant ces mots.

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