La petite reine

Chronique d’un
mensonge collectif

En plein cœur de l’entrevue, le cinéaste Alexis Durand Brault pianote quelques instants sur son iPhone et nous montre une photo de Geneviève Jeanson prise la veille.

L’ancienne championne cycliste dont la fin de carrière, marquée par le dopage et le mensonge, ressemble à la descente incontrôlable d’une pente à 23 degrés sourit à pleines dents. Elle tient fermement le guidon de son vélo, les pieds plantés au sol, un casque sur la tête. La photo est colorée, Jeanson est rayonnante.

Ce visage heureux est à des années-lumière du portrait saisissant que le cinéaste et les scénaristes Sophie Lorain et Catherine Léger ont librement esquissé à partir des éléments de la vie de Jeanson pour le long métrage La petite reine.

Ce drame sportif est tout sauf un conte de fées. La petite reine est plutôt une descente aux enfers dans laquelle Julie Arseneau (Laurence Leboeuf) est une cycliste de haut calibre dont l’ambition, nourrie aux stéroïdes, trouve écho dans l’insistance de son entraîneur JP (Patrice Robitaille), dans le parti pris aveugle de son père Alain (Denis Bouchard) et la fierté teintée de doute de sa mère Suzanne (Josée Deschênes).

Et lorsque les soupçons et les fautes s’accumulent comme de gros nuages noirs au-dessus de la tête de Julie, ses jours et ses nuits ne sont plus que solitude, vulnérabilité et larmes, alors que sa santé physique déraille complètement.

Selon Alexis Durand Brault (Ma fille, mon ange), le film trouve son sens dans le mensonge. Non pas individuel, mais collectif. « C’est un film sur le mensonge que nous voulons bien tous nous raconter, dit-il. À l’époque où je regardais courir Jeanson, je trouvais qu’elle avait du chien, qu’elle était bonne. Nous la trouvions tous extraordinaire, mais à un moment donné, on se demande si nous ne nous sommes pas tous menti, tous raconté une histoire parce qu’on ne voulait pas que la petite princesse du Québec, aux yeux si charmants, au regard si franc, soit dopée. »

C’est après avoir vu les aveux de Jeanson à l’émission Enquête de Radio-Canada que Durand Brault a songé à en faire un film. Il a appelé le producteur Richard Lalonde qui a mis un mois à joindre la cycliste. Une fois que celle-ci a accepté de parler, Durand Brault ne savait pas trop comment amorcer le travail, tellement le sujet était explosif et rouvrait des plaies.

« Ç’a été très dur au début parce que c’est comme une grosse boîte d’émotions. Tu te demandes par quel côté l’ouvrir. Nous avons eu quatre jours de discussions à Montréal où Geneviève a évoqué, pêle-mêle, ses souvenirs. La tension revenait constamment dans ses propos. »

— Alexis Durand Brault

TENSION

Effectivement, le film est traversé d’une grande tension. Pourquoi ?

« Lorsque Geneviève Jeanson a fait ses aveux de dopage, j’ai essayé de comprendre comment on peut se retrouver dans une telle situation, dit Alexis Durand Brault. Je me suis rendu compte que dans une telle situation, tu vis toujours une tension extrême. Tu as peur sans arrêt. Tu as peur des autres, de toi, de ne pas gagner ou de gagner. Si tu gagnes, tu vas être testé et si tu perds, les gens ne t’aimeront plus. En plus, le mensonge est omniprésent et plus tu mens, plus tu as peur de te faire prendre. »

Si le film est concentré sur le sport, sa trame de fond est superposable à d’autres champs, croit le réalisateur. « Selon moi, plus tu vas haut dans la vie, plus la souffrance et l’isolement sont grands. C’est vrai dans n’importe quel domaine. Tu peux doper un film, un projet de construction, la Bourse, n’importe quoi. »

Selon Alexis Durand Brault, Geneviève Jeanson a recommencé à faire de la bicyclette à cause du film. « La première fois que je l’ai rencontrée, elle m’a dit qu’elle haïssait le vélo. Mais je crois en fait que c’est tout ce qui y était rattaché. Geneviève a maintenant terminé son secondaire, son cégep et elle entrera sous peu à l’Université Concordia. De plus, elle travaille à la cuisine d’un CHSLD, ce qui a inspiré une des scènes du film. » 

La petite reine prend l’affiche le 13 juin.

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