Opinion : Aliénation parentale

Un concept au service des auteurs de violence conjugale

« Je laisserais mes enfants voir leur père même si c’était l’Étrangleur de Boston. » Ces propos, entendus lors d’un récent colloque sur l’aliénation parentale, illustrent bien comment les individus et les groupes présents font la promotion des contacts entre les enfants et leur père, même au détriment de leur sécurité.

Le 19 octobre dernier, un colloque organisé par le Carrefour aliénation parentale a réuni environ 250 personnes de différents milieux, dont plusieurs juges, avocats et professionnels des secteurs de la justice et de la protection de la jeunesse. Soutenu financièrement par le ministère de la Justice du Québec, cet événement a accueilli également l’adjoint parlementaire de la ministre Sonia LeBel. Lors de son allocution d’ouverture, Mathieu Levesque a assuré aux personnes présentes qu’elles avaient été entendues et que la problématique de l’aliénation parentale serait considérée dans le cadre de la réforme du droit de la famille.

Cette adhésion à un concept aussi controversé que l’aliénation parentale est très problématique.

Ce concept, qui a été mis de l’avant par un psychiatre américain reconnu pour ses positions banalisant la pédophilie, a été largement critiqué pour son manque de fondement et de validité scientifique. Il a d’ailleurs été systématiquement rejeté par l’Association américaine de psychologie et par l’Organisation mondiale de la santé. Il est aussi absent de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Aliénation parentale ou violence conjugale post-séparation ?

Les conflits et les litiges sont fréquents lors d’une séparation, mais les enfants ne devraient pas se retrouver dans une situation où un parent utilise diverses stratégies visant à miner leur relation avec l’autre parent.

Or, le concept d’aliénation parentale occulte le fait que de telles stratégies s’inscrivent fréquemment dans un contexte de violence conjugale.

En effet, les hommes violents peuvent, par exemple, dénigrer leur ex-conjointe devant les enfants, utiliser les enfants pour lui passer des messages, ou encore avoir recours à la manipulation ou aux menaces. Si ces comportements peuvent être perçus comme des manifestations de l’aliénation parentale, ils sont plutôt utilisés par les hommes violents dans le but de maintenir leur domination et leur contrôle sur leur ex-conjointe.

Lors du colloque, les propos de plusieurs femmes et enfants identifiés comme victimes d’aliénation parentale illustraient clairement un contexte de violence conjugale post-séparation, mais les comportements définis comme aliénants étaient décontextualisés ou perçus comme s’inscrivant dans une dynamique de conflits conjugaux.

Encore plus problématique est le fait que les travaux sur l’aliénation parentale reposent sur l’idée que les enfants et les mères mentent lorsqu’ils rapportent des situations d’abus ou de violence, même si les recherches montrent que les fausses accusations constituent un phénomène extrêmement rare. Dans ce contexte, certains intervenants ont tendance à voir de l’aliénation parentale dès qu’un enfant refuse d’avoir des contacts avec son père, même si cet enfant a pu être exposé à la violence ou victime d’abus.

Les propos des enfants qui disent avoir peur de leur père sont ainsi interprétés comme résultant de manipulations de la part de leur mère.

Ces intervenants ont aussi tendance à décrire les mères comme aliénantes dès qu’elles s’opposent aux contacts père-enfant, même si cette opposition peut être justifiée.

Les hommes violents peuvent donc avoir recours au concept d’aliénation parentale pour contrer des accusations d’abus et de violence, se positionnant ainsi comme des victimes d’une ex-conjointe hostile et manipulatrice. Il fallait voir, lors du colloque, l’auditoire s’émouvoir devant les propos d’hommes se disant victimes d’aliénation parentale et dénonçant les soi-disant fausses accusations formulées par leur ex-conjointe et leurs enfants. On se serait attendu à un peu plus de réserve, de scepticisme et de rigueur de la part d’avocats et de juges qui n’avaient accès qu’à une seule version de l’histoire…

Faire ses devoirs

Les enjeux de sécurité ont été très peu abordés lors du colloque et les conférencières n’étaient même pas en mesure de répondre à des questions très simples concernant l’évaluation de la sécurité des enfants. Personne n’était en mesure d’expliquer comment s’assurer qu’un enfant qui est perçu comme aliéné n’est pas en fait un enfant exposé à la violence ou victime d’abus qui a réellement peur de son père. Personne n’envisageait des situations où, pour des raisons de sécurité, les contacts père-enfant ne sont pas souhaitables. Ainsi, au lieu de protéger les enfants, les juges, les avocats et les professionnels qui adhèrent à ce concept les mettent en danger en insistant sur le maintien des contacts père-enfant à tout prix.

Dans ce contexte, nous exhortons le ministère de la Justice à faire ses devoirs avant d’accorder quelque reconnaissance que ce soit à un concept aussi controversé, problématique et dangereux que l’aliénation parentale.

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