Opinion : Politique étrangère du Canada

Des décisions déconnectées de nos priorités

La décision récente de l’Allemagne de ne pas acheter le chasseur F-35 a dû frapper durement Lockheed Martin qui venait de célébrer de façon presque démesurée l’acquisition par les Pays-Bas de l’avion de chasse de cinquième génération. Il est difficile de ne pas voir dans la décision allemande une rebuffade politique à l’hostilité du président Trump envers aussi bien le surplus commercial allemand que sa soi-disant relation trop étroite avec la Russie en matière d’oléoducs. 

Évidemment, Trump n’a que lui-même à blâmer dans la mesure où sa politique étrangère, pour autant qu’il y en eût une, a impulsé une révision presque déchirante des programmes européens d’acquisition et de production d’armement, ce qui, dans une certaine mesure, fournit une justification à une décision probablement erronée. En effet, on ne cesse d’entendre parler des qualités exceptionnelles du F-35, tant pour ses performances que pour ses innovations technologiques, au point que la plupart des alliés et autres acheteurs admissibles ne peuvent guère faire autrement que de le prendre.

Le Canada étant en année électorale, la décision quant au programme d’achat d’un avion de chasse risque fort d’être reportée.

Les fabricants d’images trouveront une façon ou une autre de vilipender le seul chasseur au monde qui semble susciter une acceptation presque obscène.

Même les Russes et les Chinois en voudraient s’ils étaient admissibles. Malheureusement, plus on se rapproche des élections, plus la décision stupide d’acheter les F-18 Super Hornets comme solution intérimaire aux besoins à long terme du Canada a de fortes chances d’être confirmée.

De nombreux experts ont souligné la politisation des programmes d’acquisition, à commencer par la saga du navire ravitailleur impliquant l’ancien chef de la marine canadienne et vice-chef d’état-major Marc Norman, ensuite par les tentatives de disqualifier le F-35 du processus d’appel d’offres ainsi que l‘atermoiement répété de ce dernier, sans oublier la fiction de l’écart des capacités.

Pourtant, la nouvelle politique de défense canadienne, « Protection, sécurité, engagement (PSE) », aurait dû mettre fin à toutes ces allégations si seulement des dépenses correspondantes avaient suivi la déclaration ou, plus important encore, si un concept de politique étrangère était venu sous-tendre l’énoncé de défense. Malheureusement, il n’en fut rien d’un côté comme de l’autre.

Au fond, c’est la vraie question aujourd’hui. Certes la décision du gouvernement Harper de ne pas aller en appel d’offres pour le F-35 est à l’origine de l’assertion ridicule de M. Trudeau selon qui « le F-35 ne fonctionne pas ».

Mais au moins, M. Harper avait choisi le meilleur appareil tout en enchâssant la décision par la participation au consortium de R et D du F-35.

Nous continuons d’ailleurs à y contribuer tout en soutenant que les avantages découlant du programme ne pouvaient être pris en compte dans la politique canadienne des bénéfices technologiques qui prévoient des retombées industrielles plus ou moins équivalentes à la valeur du contrat. Il y a là un manque de cohérence ou d’intégrité.

Un slogan vidé de sens

Malheureusement, tout cela n’est qu’un reflet de notre incapacité à exprimer une politique de sécurité nationale qui sous-tendrait tant notre politique étrangère que notre politique de défense connexe. Le slogan du retour du Canada sur la scène internationale perd de son lustre alors que bientôt l’Assemblée générale des Nations unies décidera ou non de nous donner un siège au Conseil de sécurité de l’ONU – de moins en moins plausible.

Certes, l’arrivée de Trump sur la scène a fait dérailler tout le processus politique canadien, mais ce n’est pas une excuse pour ne pas articuler nos priorités et agir en conséquence avec détermination et constance. La triple débâcle de l’échec des négociations commerciales avec la Chine, le traitement désinvolte du Japon et de l’Australie pour ce qui est du Partenariat transpacifique, et le ridicule du voyage en Inde ont souligné la fragilité du premier ministre sur la scène internationale. La preuve en est notre isolement dans les premières heures de la crise avec l’Arabie saoudite ou l’affaire Huawei.

Dans un sens, notre politique étrangère ne semble prendre un tournant dur que quand il s’agit de la Russie avec laquelle nous ne voulons tout simplement pas parler, ce qui n’est pas une politique même si on connaît le point de vue de la ministre Chrystia Freeland sur la question. Mais si la Russie et la Chine sont de véritables ennemis, comme cela semble être le consensus tant à Washington qu’au quartier général de l’OTAN, n’est-il pas logique de faire en sorte que la capacité soit à la hauteur des menaces dans les meilleurs délais  ? Financièrement, il ne devrait pas y avoir de problème puisque le ministre Harjit Sajjan et ses fonctionnaires nous assurent que la PSE est entièrement financée.

Le report d’acquisitions majeures n’est pas une réponse adéquate – au moins le programme d’acquisitions navales est enfin lancé. Un pays comme la Norvège l’a bien compris puisqu’il a commandé 56 F-35 pour compenser sa vulnérabilité dans le Grand Nord qui, à une plus petite échelle, ressemble passablement au nôtre.

Nous ne pouvons jouer sur deux tableaux : d’un côté, dénoncer nos ennemis, et de l’autre, ne faire que très peu pour notre défense et n’exprimer qu’une politique étrangère timorée.

Nous venons de découvrir combien est pénible d’être seul quand on fait face à des crises, alors que par le passé, on pouvait toujours compter sur le soutien des États-Unis. 

Dans un sens, nous venons d’apprendre à apprécier la réalité des choses et les journées ne sont plus ensoleillées. Le Canada n’est plus la coqueluche du monde multilatéral, non pas parce que nous avons changé, mais parce que le monde a changé. La légèreté n’est plus de mise. Et si le F-35 est véritablement le meilleur appareil au monde et qu’il assure la meilleure interopérabilité avec les États-Unis, c’est sans doute le meilleur choix. Mais ce qui est bien plus important, c’est que les choix que nous posons soient alignés sur nos priorités, la constance de notre vision et des politiques clairement conçues et définies, et non sur le goût politique du jour.

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