Chronique

Amenez-en, des « trappes à tickets » !

Le ministre Poëti n’avait pas encore fini d’annoncer l’implantation de nouveaux radars photo, cette semaine, qu’une vague de critiques s’est abattue sur lui. Comme s’il faisait ça par malveillance. Pour nuire aux automobilistes, plutôt que l’inverse.

Il a expliqué qu’il y aurait désormais 51 radars (à peine 51, pour surveiller les 185 000 km de routes du Québec !), mais c’est comme s’il avait décidé d’installer à chaque coin de rue une « MACHINE À IMPRIMER DE L’ARGENT », comme l’a écrit en grosses lettres un journal de Montréal.

Soit dit en passant, je suis vraiment impressionné par le nombre de synonymes de « cinémomètre » qu’a pu déterrer ce quotidien au fil du temps : « machines à cash », « dispositifs qui rapportent gros », « cash grab », « trappes à tickets »…

Je sais bien que de dénoncer ces appareils, ça flatte le lecteur dans le sens du portefeuille, mais peut-on s’arrêter deux secondes et se rappeler à quoi ils servent ? Non pas à grossir les coffres de l’État, puisque chaque dollar est réinvesti en sécurité routière. Mais bien à sauver des vies.

Et ça marche…

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Précisons d’abord une chose. Les automobilistes québécois sont d’incorrigibles délinquants de la route. Et plus grave encore, ils pensent le contraire.

Le constat, il ne vient pas de « l’apôtre de la pédale » que je suis, comme m’a déjà qualifié un lecteur. Il vient du MTQ et de la Table québécoise de la sécurité routière, pour qui « le non-respect des limites de vitesse est un comportement largement répandu » au Québec.

En milieu urbain, c’est plus d’un conducteur sur deux qui roule au-delà de la vitesse permise.

Sur les routes principales, ils sont deux sur trois.

Et sur les autoroutes… pas moins de huit sur dix !

Il faut avoir la tête bien enfouie sous le capot pour ne pas réaliser qu’il y a un problème. Un problème d’autant plus criant que selon un sondage Léger, une grande majorité d’automobilistes estime que le comportement des autres augmente leur insécurité… mais 98 % d’entre eux soutiennent avoir une conduite absolument irréprochable.

L’enfer, c’est l’autre, là-bas, avec le volant… Mais certainement pas moi.

D’où la nécessité d’une machine qui mesure la vitesse de tout le monde, de manière objective, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, peu importe les conditions climatiques, avec l’unique objectif de ralentir la vitesse de tous les automobilistes. Même ceux qui sont persuadés de la respecter. Juré, craché.

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Je sais bien qu’ils sont nombreux à penser que le vrai problème, ce ne sont pas les excès de vitesse, mais bien les limites de vitesse. Trop basses, à leur avis.

Soit, ça se discute. Mais qu’elles soient à 110 ou à 120 km/h, ça ne changera rien au fait qu’au Québec, les vitesses excessives sont responsables de 37 % des morts de la route. Monter le seuil permis ne fera pas moins mourir les gens…

À l’inverse, les radars photo, eux, font moins mourir les gens. N’en déplaise aux libertariens du volant et autres contestataires officiels de tickets, qui prétendent le contraire.

Les projets pilotes réalisés au Québec au cours des dernières années ont montré deux choses. À l’approche des radars photo, les excès de vitesse diminuent des deux tiers et les grands excès disparaissent carrément.

Encore mieux, ces appareils diminuent le nombre d’accidents de manière significative. Les collisions ont baissé de 59 % là où on a installé des radars photo fixes. De 41 % là où ont été implantés des appareils de surveillance aux feux rouges. Et de 26 % à l’approche des radars photo mobiles.

Amenez-en, des « trappes à tickets » !

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Plate à dire, mais il n’y a qu’en multipliant les radars photo qu’on peut réussir à dompter les comportements. Des comportements à risque pour ceux qui les adoptent, et pour ceux qu’ils ont le malheur de croiser.

Les cinémomètres sont donc des appareils de sécurité publique, pas des « machines à cash ». Contrairement aux contraventions habituelles qui enrichissent les villes, l’argent récolté va, dans leur cas, dans le Fonds de la sécurité routière. Chaque dollar, jusqu’à la dernière cenne, sert donc au financement de mesures de sécurité routière et d’aide aux victimes de la route.

Et lâchez-moi avec cette soi-disant « taxe déguisée » qui s’ajouterait à toutes les autres. Une taxe, par définition, on ne peut pas y échapper. Un radar photo, si. En respectant simplement le Code de la route.

Vous ne m’aimerez pas, mais si j’étais à la place de Robert Poëti, ce n’est pas 36 nouveaux appareils que j’ajouterais aux 15 existants, c’est 10 fois ce nombre, sinon plus.

Et vous pouvez être certains que je ne les annoncerais pas à l’avance avec de grosses pancartes bien visibles…

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