Bye-bye, boss !

La retraite, c’est les vacances. C’est la conclusion qui s’impose après avoir tapé le mot « retraite » dans le moteur de recherche Google et vu défiler ces images de plage, de mer et de palmiers. Sauf que le plan du cours de préparation à la retraite offert par le cégep Marie-Victorin s’ouvre en disant exactement le contraire : « La retraite, ce n’est pas des vacances ». Google aurait-il tort ?

« Tu peux faire le tour du monde une fois et, à la limite, le refaire une autre fois dans l’autre sens. Mais après, quand tu vas rentrer chez toi, tu vas faire quoi ? », fait valoir Jean Perron, coordonnateur des services aux entreprises au cégep Marie-Victorin. Une fois les photos de voyage vues, montrées, classées ou encadrées, que faire, en effet ?

« Les gens se retrouvent avec 2000 heures de plus par année à occuper. Tu ne peux pas être en vacances 2000 heures par année. Les vacances, ce n’est pas ça, c’est un repos entre deux périodes d’activités », souligne pour sa part Nancy Giroux, cofondatrice de Second Souffle, qui propose aussi de préparer la retraite.

Natalia Théoret, partenaire de Nancy Giroux, raconte qu’il y a des gens pour qui la transition est naturelle. Comme cette dame de sa connaissance qui s’est mise à enseigner le yoga à 66 ans. D’autres sont davantage pris au dépourvu. « Après quelques mois, ils réalisent qu’ils ont tellement de temps libre qu’ils ont l’impression de tourner en rond », dit-elle.

L’ESSENTIELLE PRÉPARATION

Personne ne veut se tourner les pouces des semaines entières. Personne ne veut voir ses parents s’ennuyer à la maison à inventorier leurs bobos. Reste qu’il n’est pas évident pour un enfant de se mêler du projet de retraite de ses parents. « Ce qu’on peut faire, c’est de dire qu’il existe des cours de préparation à la retraite, mais on est assez mal placé [comme enfant] pour influencer un parent autonome et qui a les moyens cognitifs de prendre sa retraite », expose Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

Se préparer à une retraite agréable et heureuse – n’est-ce pas le but ? –, c’est d’abord avoir planifié ses finances. Cet aspect est difficile à ignorer, bien entendu : durant la saison des REER, des publicités rappellent constamment la nécessité d’économiser en prévision de ses vieux jours. Avoir des sous ne suffit pas, par contre. Il faut aussi se préparer psychologiquement à faire autre chose de sa vie.

Il y a environ huit ans, Michel Normandeau a perdu son emploi dans le monde bancaire. Il aurait pu prendre sa retraite à ce moment-là. 

« Je n’avais pas de passion ni d’intérêt spécifique. »

— Michel Normandeau, 65 ans

Pas de projet pour le reste de sa vie, en somme. Alors ? Il a continué à travailler.

Ce n’est que récemment que l’idée de ralentir, voire d’arrêter, s’est remise à lui trotter dans la tête. Il a pris les devants et s’est inscrit au cours de préparation à la retraite du cégep Marie-Victorin. « J’ai trouvé que ça permettait de s’analyser soi-même de manière plus pointue », dit-il. Le cours lui a permis de déterminer ses valeurs et ce qui pourrait lui manquer lorsqu’il cessera de travailler.

« On ne va pas se le cacher : les gens ne prendraient jamais deux jours à la maison pour réfléchir à ce qu’ils vont faire au cours des prochaines années [s’il n’y avait pas d’ateliers de formation à la retraite] », dit Natalia Théoret, dont l’objectif est d’aider les gens à « imaginer la deuxième partie de leur vie ».

RETRAITE LIBÉRATRICE

Jocelyne Ouellette, animatrice au secteur aîné du Patro Le Prévost, un centre communautaire du quartier Villeray, à Montréal, a aussi suivi un cours de préparation à la retraite. Elle a apprécié la variété de corps de métiers représentés – « du camionneur au chef d’entreprise », précise-t-elle – et pris conscience qu’elle était assez bien outillée et surtout mieux entourée que bien d’autres personnes.

« Ce que j’ai vu, en observant d’autres personnes prendre leur retraite, c’est que leur réseau social s’effondre », confirme Michel Normandeau. Célibataire et sans enfant, il craint en effet l’isolement. « Moi, ça ne me fait pas peur. On est bien entourés », dit Jocelyne Ouellette, à propos de son mari et elle.

« La retraite, pour moi, c’est un projet de vie, parce que la vie continue. Et dans le mot vieillesse, il y a le mot vie. » 

— Jocelyne Ouellette

Elle songe à un voyage, pour marquer la transition et prendre du recul, mais s’imagine déjà faire du bénévolat au Patro Le Prévost. « Ma place, c’est près des gens », dit-elle. En se projetant dans l’avenir, Michel Normandeau envisage pour sa part d’étudier le design d’intérieur. « Je n’ai pas encore trouvé la chose qui m’allumerait au moment de la retraite », nuance-t-il toutefois.

Se libérer du travail n’est pas aussi libérateur pour tous. « Après la retraite, on peut se retrouver avec le sentiment de n’être rien », prévient Yvon Riendeau. D’où la nécessité de s’y préparer. « Je comprends qu’on puisse tomber en dépression quand on ne se sent plus utile », convient Jocelyne Ouellette, qui trouve bien inspirantes les personnes qui, comme Janette Bertrand, continuent à faire ce qu’elles aiment même en vieillissant. « Je crois beaucoup que ce passage doit se faire graduellement. »

RETRAITÉ ET DÉSENCHANTÉ ?

Après la « lune de miel », bien des retraités déchantent. « Ce désenchantement peut entraîner une détresse importante – épisodique ou non – et une anxiété chronique. On pourrait dire qu’il y a, au bas mot, de 25 à 30 % des gens qui vivent ce désenchantement dans les cinq premières années de la retraite, un désenchantement suffisamment important pour inciter à retourner au travail ou pour provoquer une détresse psychologique », avance Yvon Riendeau. L’enfant qui constate le dépérissement de son père ou de sa mère retraité peut intervenir, juge Christine Grou. « Le défi, dit-elle, c’est de faire la distinction entre le processus de deuil normal du parent qui, pendant une certaine période, se cherche de nouveaux repères, et une souffrance psychologique. »

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