OPINION

Des voix dans la tête, un cri du cœur

Près d’une personne sur cinq souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie*. Je tiens à profiter de la Journée mondiale de la santé mentale, célébrée chaque année le 10 octobre, pour livrer le témoignage de ma sœur Doris, schizophrène depuis l’âge de 18 ans. L’édition 2014 porte d’ailleurs le thème « Vivre avec la schizophrénie ». On estime qu’une personne sur 100 en est atteinte. Comme la schizophrénie touche le plus souvent les 16-30 ans, il s’agit de la maladie qui affecte le plus la jeunesse.

— Diane Pouliot

*Selon l’Institut universitaire en santé mentale de Québec

Je suis schizophrène depuis mes 18 ans. J’en ai maintenant 54. Lorsque j’ai reçu mon premier diagnostic de santé mentale à 18 ans, le psychiatre parlait alors d’une perte de contact avec la réalité. Il a fallu quelques années pour que le mot schizophrénie soit nommé par les professionnels chargés de s’occuper de mon cas.

J’entends des voix. Elles m’ont souvent dit que je suis un accident de parcours. Les voix répètent aussi : « Isole-toi. Les gens ne sont pas gentils. T’as pas faim. Ne mange pas. Fais attention, té grosse… » J’entends ces paroles depuis des années. Ah oui, j’ai oublié de spécifier que j’étais également anorexique. J’ai déjà pesé moins de 70 livres.

Ma vie est un scénario de maladie mentale. Au fil des années, j’ai perdu ma santé, mes amis, mes biens matériels. J’ai eu une rémission de 1988 à 1993. Je pouvais m’occuper de mon logement et de mon copain qui souffrait également de maladie mentale. J’étais concierge de mon immeuble. J’avais des meubles, un chat. Une vie presque normale sans que je prenne de médicament. Aussi, la rechute a été terrible, car de 1993 à 2004, j’ai été de cure fermée en cure fermée en psychiatrie. J’ai aussi déménagé à plusieurs reprises dans des familles d’accueil. Je n’étais bien nulle part. À ce jour, je n’ai jamais été capable de travailler à plein temps. Les médicaments que je prends pour stabiliser les voix et l’humeur me rendent trop amorphe. Si j’arrêtais d’en prendre, je rentrerais à l’hôpital. Je deviendrais dépressive, agressive et souhaiterais mourir.

UN PETIT PARADIS… EN SANTÉ MENTALE

Je dois donc être bien encadrée et je le suis par le personnel de la résidence du Carrefour, où j’habite depuis l’hiver 2014. Les intervenantes qui s’occupent de moi me donnent l’impression que je suis importante. Il y a aussi la cuisine d’Hélène qui fait taire la plupart du temps mes voix tellement elle propose de beaux et bons plats. La résidence surplombe le fleuve et la fenêtre de ma chambre donne sur l’île d’Orléans. Cet été, il y avait toute une variété d’oiseaux qui nous rendaient visite dans la cour arrière. Un vrai petit paradis… en santé mentale. En plus, depuis que je suis installée à la résidence, j’ai un espace privé, une chambre avec salle de bains complète. Mes sœurs m’ont aidé dans l’aménagement : chaise berçante, bureau, armoire et même une télévision haute définition. Pour moi, c’est beaucoup !

MES SOLUTIONS, MES REMÈDES

J’aurais pu finir dans la rue, comme sans-abri. Cela a bien failli m’arriver au début de l’âge adulte. Mais j’ai su demander de l’aide et j’en ai reçu. J’essaie maintenant de sortir de mon isolement en participant aux activités de la résidence. Je m’y suis même fait une amie, Marlène. On cause et on va marcher tous les jours ensemble. Je demeure aussi en contact avec mes sœurs. On se rencontre assez souvent. Elles m’acceptent avec mes limites et comprennent ma maladie. Mes sœurs sont conscientes qu’elles-mêmes auraient pu souffrir de maladie mentale.

Au fil des ans, j’ai trouvé mon soutien quotidien auprès d’organismes parapublics et communautaires et, maintenant, auprès des intervenantes de ma résidence. De plus, je vais m’entraîner deux fois par semaine, l’exercice me fait du bien. Je trouve important de renforcer mes muscles, car avec les médicaments, mes membres deviennent engourdis. Même si j’entends encore des voix, je crois que je vis davantage dans la réalité. Enfin, j’essaie de vivre avec ce que je suis.

Doris Pouliot, résidence du Carrefour

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