Agressivité au féminin

TÉMOIGNAGES 

Porter la violence

Trois femmes qui ont exercé de la violence dans leur intimité ont accepté de témoigner de leur histoire et de leur cheminement.

Boule de rage

« Crinquez-moi pas, sinon je peux tuer. » Quand Line vit une crise d’agressivité, elle est convaincue qu’elle peut détruire une maison à mains nues. À 47 ans, elle porte en elle une colère profonde depuis l’enfance. La boule de rage menace de surgir à tout moment, sans prévenir. Sur la route, au travail ou à la maison.

« C’est récurrent chez moi. Suis-je guérie ? Je préfère dire que je suis en rémission. » Au fil des ans, Line a crié, dénigré, menacé. Elle a posé une multitude de gestes violents, parfois physiques.

Lors d’une dispute de couple, elle a défoncé un mur avec son poing. « Mes relations amoureuses ont toujours été des échecs, souvent à cause de mon agressivité. Ça pouvait dégénérer rapidement. Heureusement, j’ai toujours eu le réflexe de me sauver. » Résignée, elle restera célibataire, prévoit-elle.

« Quand tu blesses des gens, c’est terrible comment tu te sens. C’est d’une tristesse profonde. Une fois que le mal est fait, il est trop tard. J’ai beaucoup de regrets. »

Jeune, elle a déjà frappé parce qu’on la regardait de travers. « Au hockey, j’ai envoyé une fille à l’hôpital en la frappant avec mon bâton. » Peu à peu, elle a anesthésié son agressivité en consommant de la drogue. Elle n’a plus frappé, mais la boule de rage est restée.

Ça lui a coûté deux emplois. « J’étais fâchée de ne pas être reconnue, je ne supportais pas la pression. » Quand elle a vu la peur dans les yeux de son fils, elle a réalisé l’ampleur du désastre. Il avait 7 ans.

En 2014, Line s'est jointe au groupe de suivi chez Option. Depuis, la colère s’est estompée. Les crises sont maintenant espacées, mieux contrôlées. « Je comprends que ça vient de mon passé. J’ai été abusée sexuellement et j’ai intériorisé ma souffrance. » Qu’elle tente aujourd’hui d’apaiser autrement que par la colère.

Sauver son couple

Hélène*, 32 ans, a une voix douce, le regard sensible. Quand elle confie avoir déjà frappé et poussé son conjoint, on peine à la croire. « Dans ma vie professionnelle ou avec mes amis, ça ne paraît pas que je peux perdre les pédales. C’est avec mon conjoint que j’ai des crises de colère. »

Pendant quatre ans, elle a vécu une relation de couple conflictuelle, faite de querelles quotidiennes. « Il y avait des pertes de contrôle, surtout de ma part. Mon conjoint pouvait être dur, crier, mais c’est moi qui amenais l’intensité dans la chicane. »

Hélène avait l’habitude de crier, de harceler son amoureux. Quand il sentait la soupe chaude, il s’éclipsait. « Je pouvais l’appeler ou le texter 40 fois de suite. Je lui courais après, je lui barrais le chemin. Je me suis déjà précipitée, dehors en pyjama, devant sa voiture. Mes crises de larmes duraient toute la nuit. »

Complètement épuisés par ces innombrables empoignades, ils ont tous deux cherché de l’aide. « Le plus difficile, c’est d’accepter l’étiquette, d’assumer sa violence. C’est une honte qu’il faut surpasser pour en parler et changer. T’as l’impression d’être un monstre », confie-t-elle, en pleurant.

Hélène a grandi dans un foyer où la violence était omniprésente. « Mes parents se disputaient tout le temps. Le samedi soir, ma mère faisait son sac de vidanges et appelait un taxi qu’elle ne prenait jamais. Très passive, elle accumulait et ça explosait. Elle a déjà frappé mon père ; elle n’en pouvait plus. »

Hélène n’a jamais appris à gérer ses émotions. « Je me réveillais fâchée le matin, sans raison. J’ai canalisé ma colère dans la lutte sociale, contre les injustices. Là, ça passait bien. Autrement, l’agressivité est très mal vue chez une femme. »

Deux ans après son passage chez Option, Hélène va mieux. Son couple a tenu le coup. « On se chicane encore, mais on ne dérape plus. On a fait d’énormes progrès. » Assez pour qu’ils songent maintenant à construire une minimaison, à fonder une famille. « J’aimerais donner à mes enfants l’exemple d’une relation, pas parfaite, mais saine », souligne-t-elle. L’exemple qu’elle n’a pas eu.

Amour toxique

Les menottes aux mains, Chanel*, 28 ans, s’est retrouvée sur la banquette arrière d’une voiture de police. Triste résultat d’une énième dispute de couple, d’une nouvelle crise de colère. « J’ai pété ma coche et craché au visage de mon copain. » Elle a passé la nuit dans une cellule, la peur au ventre.

Chanel reconnaît que l’incident n’était que la pointe de l'iceberg. « On se battait presque tous les jours. Nous avions une relation passionnelle, mais aussi très toxique », raconte la jeune femme aux cheveux bouclés.

Au fil des mois, elle a eu plusieurs ecchymoses. Lui reste marqué d’une cicatrice au visage. « Je lui ai lancé son téléphone en pleine face. Sa joue était fendue et il a eu un œil au beurre noir. »

La relation, teintée par la consommation abusive de drogues et d’alcool, ne faisait qu’empirer. « Chaque fois qu’on faisait le party, ça durait jusqu’à midi. On s’amusait, mais on savait que ça finirait mal. »

Conformément à une ordonnance de la cour, Chanel ne devait plus s’approcher de son ex-conjoint et devait suivre une thérapie pour gérer sa colère. « On a continué à se voir en cachette, il ne voulait pas retirer sa plainte. Il se présentait chez moi à 3 h du matin et menaçait de révéler que je le textais si je n’ouvrais pas. »

Elle s’est rendue chez Option à reculons. « Je ne pensais pas avoir besoin de cette thérapie. Je mettais tout sur sa faute. » Au fil des séances, elle a changé sa façon de voir les choses et a réalisé qu’elle avait ses torts, qu’elle n’était pas une victime.

« J’avais moi-même un problème. J’ai encore du mal à gérer mes émotions, je garde tout pour moi. Ça m’arrive encore de rager, je suis très impatiente. Mais j’ai changé ma façon d’aborder mes relations intimes. La thérapie m’a fait beaucoup grandir. »

Chanel a maintenant un nouvel amoureux. Elle croise les doigts. Cette fois, elle fera tout pour que son couple évolue sans fracas.

* Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des participantes.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.