Témoignage

Et ma dignité ?

Les problèmes d’incontinence font partie des désagréments de la maladie

J’attends…

Et tant qu’à attendre dans ces conditions-là, je suis aussi bien d’écrire, puisque c’est mon exutoire préféré quand j’ai les idées noires. Ça fait un petit bout que je cherche l’angle approprié pour écrire sur les soins à domicile. Par la force des choses, j’ai trouvé la façon d’aborder le sujet.

Donc j’attends. Il est sept heures du soir, ma routine pour me préparer au coucher débute dans deux heures. Pour une fois, ce serait bien si le préposé arrivait un peu à l’avance, parce que j’attends assis sur mon fauteuil dans une marre d’urine. Eh oui ! les problèmes d’incontinence font partie des désagréments de la maladie qui vit en colocation chez moi. Habituellement, un condom urinaire empêche de telles situations de se produire. Aujourd’hui pas de chance, il m’a lâché !

Le pire c’est l’odeur, ça sent terriblement fort et peu importe où je vais, elle me suit dans toutes les pièces de l’appartement. L’odeur est même parvenue à imbiber des parties de ma dignité. Bof, c’est quand même arrivé à une heure potable et c’est beaucoup moins grave que quand c’est un numéro deux qui part exceptionnellement sans avertissement. J’ai souvenir de ces jours pas si lointains où, dans une situation d’inconfort semblable, il s’égrenait plusieurs heures avant qu’on vienne s’occuper de moi. Ce soir, il y aura bientôt quelqu’un. Plus que 120 minutes à attendre. Le service du coucher va alors arriver et, pour la 12e fois dans les 11 derniers jours (matins et soirs confondus), encore une personne différente, inconnue, viendra s’occuper de moi.

À nouveau, je devrai faire fi de mon intimité devant une personne jamais rencontrée. À nouveau, je devrai me laisser toucher de façon inappropriée.

À nouveau, je devrai répéter toutes les nombreuses consignes à suivre afin de m’installer confortablement, sécuritairement, dans mon lit et espérer que tout se passera sans incident, sans soupir de découragement de part et d’autre.

C’est loin d’être la façon la plus agréable de recevoir de la nouvelle visite !

Au moins, mes vêtements, bien que souillés, me garderont cette fois un semblant de fierté lors de l’accueil du préposé. C’est déjà un peu mieux que les matins du week-end quand, simplement vêtu de mon costume d’Adam, je laisse trop souvent entrer un énième nouveau visage entre mes quatre murs pour s’occuper de ma routine du réveil.

Avec le roulement infernal des aidants se présentant chez moi, développer une complicité avec la personne aidante est une mission impossible. Cette complicité est pourtant primordiale au bien-être du bénéficiaire : il se sent ainsi respecté dans son intimité, ses besoins et, surtout, point à ne pas négliger, il se sent en sécurité. Les aléas de la maladie sont bien assez irritants, il me semble, qu’il devrait y avoir beaucoup moins de sources d’inquiétude liées aux services à domicile. Une forte résilience ainsi qu’une grande capacité d’adaptation sont nécessaires pour survivre à la dépendance aux soins à domicile.

Dans le système public de santé actuel, le manque criant de ressources affectées à ces tâches n’est sûrement pas étranger aux situations précédemment nommées.

Heureusement, ce rythme de folie harassant au possible m’octroie désormais quelques pauses salvatrices du lundi au vendredi en matinées. J’ai en effet le privilège d’avoir engagé avec le chèque « emploi service » du gouvernement, une employée impeccable qui me prodigue tous les soins nécessaires pour compenser les incapacités liées à ma condition. Ce privilège n’est cependant pas l’apanage de tout « patient ». Bien au contraire. Plusieurs sont soumis au jeu de la chaise musicale des préposés. Plusieurs vivent trop souvent l’incertitude et l’insécurité de ne pas savoir qui entrera dans leur bulle, dans leur intimité la plus primaire.

Il est grand temps d’éliminer ces situations aliénantes une fois pour toutes, et de redonner aux personnes vulnérables leur dignité.

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