Ski acrobatique slopestyle

JF Cusson, pionnier du freeski

Bokwang — Quand ils étaient jeunes, Jean-François Cusson et sa bande attendaient avec impatience chaque tempête de neige. « Dès qu’il y en avait une, on se garrochait dedans ! » Skis aux pieds, ils inventaient toutes sortes de manœuvres, ils s’amusaient sans se soucier des règles. Savaient-ils qu’ils révolutionneraient le monde du ski ?

JF Cusson, de Sainte-Agathe-des-Monts, a activement participé à la naissance du ski libre (freeski) dans les années 90. Il en est devenu une grande star, surtout aux États-Unis. En 1999, il a décroché l’or de la première épreuve de big air de l’histoire des X-Games. Il a aussi remporté la première compétition de slopestyle au US Open. Il a même contribué à la création du premier ski à double spatule (Salomon Teneighty). C’était à l’époque où l’on skiait sans casque, où les sauts étaient interdits dans les stations de ski.

« Plusieurs l’ignorent aujourd’hui, mais la notoriété de JF Cusson était plus grande que nature, c’était un dieu, rappelle Jean-Luc Brassard, son ancien coéquipier dans l’équipe nationale de bosses. Avec Vincent Dorion et JP Auclair [tous issus du ski de bosses], ils avaient le surnom de New Canadian Air Force. C’est eux qui ont jeté les bases de tout ce qu’on voit en ski en ce moment. »

À 40 ans, Cusson est aujourd’hui l’entraîneur technique de l’équipe canadienne de slopestyle, qui entre en scène ce soir [heure de l’Est] au parc à neige Phoenix. Ses protégées Dara Howell et Kim Lamarre, médaillées d’or et de bronze aux Jeux de 2014, tenteront de répéter l’exploit. Les garçons, dont Alex Beaulieu-Marchand et Alex Bellemare, ont aussi un potentiel de podium.

« Quand j’étais athlète, j’étais innovateur. J’inventais des nouveaux sauts. Alors, j’aime pousser mes athlètes à figurer de nouvelles rotations, des nouveaux grabs [saisies de ski], à avoir un style unique. »

— JF Cusson

Verres fumés sur le nez et capuche sur la tête, JF Cusson assiste à la finale de slopestyle en surf des neiges. Nous sommes le 11 février. Dans quelques jours, ce sera au tour des skieurs de s’approprier les rails et les modules. Mais pour l’instant, c’est le repos. « On vient d’arriver. On s’ajuste au décalage horaire, on n’a pas commencé l’entraînement. On chille. »

Parmi les spectateurs massés au pied de la piste – dont d’exubérants fans norvégiens –, il passe inaperçu. Il n’en a pas toujours été ainsi.

Il fut un temps où, cheveux roses ou peroxydés, anneau à l’oreille, Cusson survolait des habitations, des routes, gagnait des compétitions professionnelles, était la vedette de films de ski. Certains extraits de ces films peuvent être vus sur YouTube, près de 20 ans après leur diffusion. « Est-ce que ce gars est encore vivant ? C’est effrayant de voir que plusieurs skieurs de mes films préférés sont morts maintenant », écrit un internaute dans les commentaires.

Un sport à inventer

« J’ai été le premier à faire un 360 mute grab au championnat canadien en 1997 », dit Cusson en parlant de sa courte carrière en bosses. Il a terminé deuxième en France à sa troisième participation en carrière à la Coupe du monde. Avec ses compagnons, il s’amusait davantage lors des congés à essayer des nouvelles figures, inspirées du surf des neiges, interdites en compétition par la FIS.

Et si on avait des skis à double spatule ? se sont-ils demandé. Leur entraîneur Mike Douglas a réussi à convaincre Salomon d’en fabriquer. À partir de là, tout était possible. « Je rêvais d’aller aux Jeux olympiques en bosses, mais il fallait que je fasse un choix », dit Cusson. Il a opté pour une carrière en freeski. « Je pensais que ce qu’on allait construire serait beaucoup plus gros, plus spécial, plus unique. »

« Tout était à inventer », raconte Brassard.

« Avec leur approche, ils rejetaient la mentalité rigide, collège privé, du ski traditionnel. Il disaient : la montagne a beaucoup plus à offrir. Alors que le snowboard grugeait du terrain, ils ont littéralement sauvé l’industrie du ski. »

— Jean-Luc Brassard

« Le ski n’était pas cool encore, les X Games étaient réservés au snowboard. Il y avait une petite guerre », raconte Cusson. Quand le freeski a été accepté à ce grand rendez-vous, le sport a pris son envol. « On avait fait un super beau show. On avait vraiment trippé. »

Un golfeur sur les pentes

Après quelques bonnes frousses, JF Cusson a décidé de ranger ses skis. « Tant que tu n’as pas peur, tu continues de pousser ton sport. Mais à un moment, tu ne t’amuses plus. La peur s’installe et ça devient lourd. Ça m’est arrivé vers 25 ans. » Il se souvient des falaises qu’il sautait pour survoler des routes (road gap). Plusieurs de ses bons amis sont morts en ski, dans des avalanches. « Ça ébranle », dit-il.

Il s’est tourné vers… le golf. Il a reçu sa carte de la PGA en 2007 et il a remporté plusieurs tournois professionnels au Québec. Il est instructeur de golf depuis 15 ans. Mais il a toujours gardé contact avec le monde du freeski. Alors qu’il était juge aux X Games, il a été sondé en 2011 par Ski acrobatique Canada pour devenir entraîneur de slopestyle. On prévoyait l’entrée de la discipline aux Jeux de 2014.

« Être coach de slopestyle, ce n’est pas évident. Les manœuvres sont en constante évolution, les parcours sont tout le temps différents. À chaque compétition, tu recommences à zéro. Il faut que tu imagines une descente qui sort un peu de l’ordinaire, qui se distingue des autres athlètes, qui va plaire aux juges et aux spectateurs », explique-t-il.

En 20 ans, le sport a beaucoup changé, s’est structuré. « À l’époque, on faisait tout nous-mêmes, on était autodidactes. Aujourd’hui, il y a des trampolines, des rampes d’eau, des coussins d’air. On peut pratiquer sans se blesser. »

« L’évolution du sport est exponentielle. Ça va très vite en ce moment, ça s’en vient assez casse-cou, mais les athlètes sont bien préparés, les parcours plus sécuritaires. »

— JF Cusson

Le Canada sur les rails

La force de l’équipe canadienne, composée de plusieurs Québécois, réside dans la créativité sur les rails, croit-il. « Au Québec, les athlètes sont plus forts en rails, parce qu’il y a très peu de parcs à neige avec des gros sauts », explique Cusson. 

Le parcours olympique, à Bokwang, pourrait donc les favoriser. « La section de rails en haut est très complexe, avec des gros modules. Alex Bellemare et Alex Beaulieu-Marchand ont fait beaucoup de street rails, ils ont fait plusieurs films. Ils sont très créatifs. Ils pourraient se démarquer. »

JF Cusson travaille maintenant dans l’ombre et ça lui va comme ça. « Il n’a jamais cherché à être une star, dit Jean-Luc Brassard. C’est un gars hyper intelligent. Il a fait des choses extraordinaires, mais il ne s’est jamais enflé la tête avec ça. Le New Canadian Air Force voulait faire bouger les choses. Ils ont ramené le côté cool à la montagne. » Et ce, jusqu’aux Jeux olympiques.

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