« Vive le Québec libre » 1967-2017

La dernière visite du général

« Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas », dit Charles de Gaulle, en s’avançant sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal. « Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. » À ses pieds, des milliers d’admirateurs se pressent pour voir le légendaire chef militaire. Ils ne savent pas encore à quel point la chute de son discours passera à l’histoire…

20 juillet 1967

Saint-Pierre et Miquelon

Contrairement à ce qu’on croit souvent, le voyage nord-américain du président français n’a pas débuté au Québec : le jeudi 20 juillet 1967, Charles de Gaulle arrive aux îles Saint-Pierre et Miquelon après une traversée de l’Atlantique depuis Brest, en Bretagne, qui aura duré cinq jours. Cet arrêt dans le petit territoire français, qui comptait alors 5000 habitants (environ 6000 aujourd’hui), explique que de Gaulle ait préféré faire la traversée en bateau plutôt que le voyage en avion. Plusieurs analystes croient toutefois que le président français évitait ainsi, délibérément, d’arriver au Canada par la capitale, Ottawa, comme l’aurait commandé le protocole, pour plutôt poursuivre son chemin et accoster à Québec.

« Peut-être que le reste du Canada n’a pas encore saisi le fait que nous étions de culture française et que nous voulions vivre en français. Si cette visite peut éclairer les gens, tant mieux. »

— Daniel Johnson, alors premier ministre du Québec, en conférence de presse le 21 juillet 1967

22 juillet 1967

Une prophétie ?

La visite de Charles de Gaulle sur le sol américain est suivie par les médias québécois depuis qu’il a posé le pied à Saint-Pierre et Miquelon. La veille de son arrivée, le journaliste Claude Turcotte écrit ceci dans La Presse : « À la lumière de nombreux incidents et de l’atmosphère générale, les spéculations de l’heure veulent qu’un terrible affrontement fédéral-provincial éclatera dès le départ du général de Gaulle. »

23 juillet 1967, matin

Arrivée au Québec

Ça y est. Le dimanche matin, le général de Gaulle arrive à Québec. Les images d’archives nous montrent un homme en grande forme. Charles de Gaulle a 76 ans. Il est président de la France depuis presque neuf ans et il est un excellent orateur. 

C’est le gouverneur général du Canada, Roland Michener, qui l’accueille d’abord, puis le premier ministre du Québec, Daniel Johnson, au pouvoir depuis un an. « J’ai plutôt l’impression en ce moment d’accueillir des amis très chers », déclare le premier ministre Johnson, qui a visité de Gaulle à Paris au mois de mai de la même année.

23 juillet 1967, soir

Château Frontenac

Le soir, de Gaulle soupe au Château Frontenac, en compagnie de 400 invités. Queue de homard gaspésien et filet de bœuf font partie du repas huit services.

24 juillet, matin

Sur le chemin du Roy

Le lundi matin, de Gaulle quitte Québec en direction de Montréal à bord d’une Lincoln noire décapotable sur le chemin du Roy. Sa femme Yvonne Vendroux est avec lui, ainsi que le premier ministre du Québec, Daniel Johnson. Le cortège fera six arrêts avant sa destination finale, Montréal.

24 juillet, midi

Dîner à Trois-Rivières

Après des arrêts à Donnacona et à Sainte-Anne-de-la-Pérade, le cortège présidentiel fait une pause à Trois-Rivières, où le dîner sera servi au séminaire Saint-Joseph.

Menu

Saumon de la Gaspésie 

Bison sauce grand veneur 

Pommes noisettes et carottes à l’étuvée 

Glace tricolore et bleuets du Saguenay servis dans un cantaloup

24 juillet, après-midi

Des foules en liesse

Le cortège poursuit sa route et fera des arrêts à Louiseville, Berthierville et Repentigny. Tout au long du chemin, à l’invitation des Sociétés Saint-Jean-Baptiste locales, des milliers de gens saluent le président, drapeaux du Québec et de la France en main.

Combien ? Un demi-million de Québécois se seraient déplacés le 24 juillet 1967 pour voir passer Charles de Gaulle ou assister à l’un de ses discours lors de ses haltes.

Pendant ce temps, à Montréal…

Durant la journée du 24 juillet 1967, le maire Jean Drapeau voit lui-même aux détails à l’hôtel de ville, nous apprend le journaliste de La Presse André Duchesne, qui s’intéresse à cet épisode de l’histoire dans son essai La traversée du Colbert, paru le mois dernier. Il avait même demandé qu’on enlève le micro du balcon de l’hôtel de ville puisqu’il n’y avait pas de discours prévu à l’horaire. C’est plutôt à l’arrière de l’hôtel de ville, sur la terrasse du Champ-de-Mars, que le président français devait prendre la parole devant les dignitaires, après avoir fait une apparition muette devant la foule. Mais le micro est resté sur le balcon…

24 juillet, 19 h 30

Arrivée à Montréal

Jean Drapeau et sa conjointe Marie-Claire Boucher accueillent Charles de Gaulle et Yvonne Vendroux devant l’hôtel de ville de Montréal.

À 19 h 42, le général de Gaulle fait son apparition sur le balcon de l’hôtel de ville. À ses pieds, une foule évaluée à 15 000 personnes. Puisqu’il y a un micro sur le balcon, le président français décide de s’adresser à la foule. Il déclare toute l’admiration qu’il éprouve pour les « Français du Canada » et pour Montréal, « une ville exemplaire par ses réussites modernes ». Avant de conclure…

« J’emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit, entend ce qui se passe ici et je puis vous dire qu’elle en vaudra mieux. Vive Montréal. Vive le Québec. Vive le Québec libre ! »

25 juillet 1967

Ottawa réplique

La presse anglophone se déchaîne contre la déclaration du général. Le ministre de la Justice, Pierre Elliott Trudeau, se demande comment les Français auraient réagi si le premier ministre Lester B. Pearson avait déclaré « la Bretagne aux Bretons ». À Ottawa, Pearson réunit son cabinet. Il publiera un communiqué cinglant. 

« Toutes les provinces du Canada sont libres. Les Canadiens n’ont pas besoin d’être libérés. »

Pendant ce temps, le président français visite Expo 67. Il conclut son discours à la place des Nations par un prudent « Vive le Canada et vive le Québec ».

26 juillet 1967

Départ du Canada

Lors d’un dernier dîner à l’hôtel de ville, le maire Jean Drapeau répond au général et exprime son attachement au Canada. « Nous avons appris à vivre seuls, pendant deux siècles. »

Charles de Gaulle annule sa visite à Ottawa, où il devait participer à des activités soulignant le centenaire de la Confédération. Le 26 juillet, en après-midi, il repart pour la France, en avion. Il laisse derrière lui des indépendantistes ravis, des fédéralistes consternés, un pays à la veille de grands bouleversements politiques.

Trois mois plus tard, René Lévesque quitte le Parti libéral puis fonde le Mouvement souveraineté-association, prélude à la fondation du Parti québécois.

Et avant que l’année ne se termine, le boulevard de Gaulle à Ottawa est rebaptisé « boulevard Centennial », en l’honneur du centenaire de la Confédération.

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