États-Unis

Le maire qui veut devenir président

Pete Buttigieg, un trentenaire élu à la tête d'une petite ville de l'Indiana, commence à attirer l'attention du pays tout entier

New York — L’anecdote circule depuis plus d’une semaine sur Twitter. Elle met en scène un journaliste américain, qui présente une collègue norvégienne à un des candidats démocrates à la présidence après une assemblée publique. À la grande surprise de la journaliste, l’aspirant à la Maison-Blanche se met à lui parler dans la langue d’Ibsen.

Le candidat s’appelle Pete Buttigieg. Âgé de 37 ans, il occupe depuis 2012 la fonction de maire de South Bend, ville de 102 000 âmes située dans l’Indiana. Comment en est-il arrivé à apprendre le norvégien, l’une des sept langues qu’il parle plus ou moins couramment en plus de l’anglais ? À la journaliste étonnée, il a d’abord expliqué qu’il avait grandement apprécié le livre d’un auteur norvégien traduit en anglais.

« Mais comme c’était le seul livre de cet auteur traduit en anglais, il a appris une nouvelle langue pour pouvoir lire les autres ouvrages de cet écrivain », a raconté sur Twitter le journaliste américain Anand Giridharadas, dont le récit a plus tard été confirmé par sa collègue norvégienne Asne Seierstad, qui a également vanté la qualité du norvégien du candidat présidentiel.

Giridharadas a conclu l’anecdote sur ces mots : « Et voilà, mesdames et messieurs. On n’a aucune idée de qui succédera à Donald Trump. Mais nous avons déjà trouvé l’homme le plus différent de lui. »

La semaine dernière, cette différence a valu à Pete Buttigieg d’être considéré comme le candidat présidentiel « le plus hot » de l’heure par CNN, d’être invité à présenter ses idées sur plusieurs chaînes de télévision, dont Fox News, MSNBC et ABC, et d’être qualifié de « millénial modèle » par le site d’information BuzzFeed.

Pas mal pour le maire d’une ville modeste du Midwest dont le nom de famille hérité de son père d’origine maltaise se prononce « boodidjeuje ». Mais pas étonnant pour ceux qui ont suivi depuis le début le parcours politique de ce jeune homme au CV impressionnant : après des études à Harvard et à Oxford (en tant que boursier Rhodes), il a travaillé pour le cabinet de conseil en stratégie McKinsey et servi en Afghanistan pendant sept mois comme officier militaire, au beau milieu de son premier mandat à la mairie de South Bend.

« Il est très intéressant d’observer ce qui se passe sur la scène nationale parce que cela reflète de plusieurs façons ce qui s’est passé sur la scène locale quand Pete Buttigieg a brigué la mairie de South Bend alors qu’il était encore dans la vingtaine. »

— Elizabeth Bennion, politologue à l’Université d’Indiana-South Bend

« Il ne faisait pas partie des meneurs au début. Et les gens n’étaient pas sûrs de ce qu’ils devaient penser de lui. Et puis, ils se sont mis à l’écouter et à examiner sa feuille de route. Il est rapidement devenu évident pour eux qu’il pouvait non seulement gagner la mairie, mais également se servir de cette fonction comme tremplin national. »

Mais le maire d’une ville de taille moyenne, aussi brillant soit-il, peut-il à 37 ans rêver sérieusement à la présidence ? Dans ses discours et ses interviews, Pete Buttigieg répète que son âge est son plus important atout. « Mon visage est mon message », a-t-il répondu la semaine dernière à Mika Brzezinski, coanimatrice de l’émission de MSNBC Morning Joe, qui lui demandait de résumer son message en 30 secondes. « Nous avons besoin d’un changement générationnel. Nous avons besoin de nouvelles voix venant d’une génération qui aura à affronter tant d’enjeux cruciaux. »

Et d’ajouter, en faisant une allusion subtile à l’âge de Donald Trump : « C’est pourquoi je parle souvent de ce à quoi le monde ressemblera en 2054, quand j’aurai atteint l’âge du président actuel. C’est pour nous rappeler que le défi n’est pas seulement l’affaire d’une élection. C’est l’affaire d’une ère. Les décisions politiques qui sont prises aujourd’hui vont décider comment iront les 20, 30 ou 40 prochaines années. »

Sur le plan idéologique, « Mayor Pete », comme il aime se faire appeler, défend des positions progressistes qui sont partagées par plusieurs de ses concurrents démocrates, que ce soit sur la santé, l’immigration ou la lutte contre les changements climatiques (il appuie le très ambitieux Green New Deal d’Alexandria Ocasio-Cortez). Mais sa façon de s’exprimer le distingue des autres. Il est probablement le seul à pouvoir établir un parallèle qui se tient entre Ulysse, célèbre roman de James Joyce, et une campagne présidentielle, comme il l’a démontré récemment lors d’une entrevue accordée au magazine Esquire.

« Cela fait partie de l’authenticité de Mayor Pete », a dit à La Presse Jack Colwell, vétéran chroniqueur du South Bend Tribune.

« Ce n’est pas comme si des consultants lui avaient soudainement dit : “Voici la façon dont tu parleras de ces sujets.” Il a toujours tenu le même discours réfléchi, raisonné et original. »

— Jack Colwell, chroniqueur au South Bend Tribune

Jack Colwell est l’un des nombreux admirateurs de Pete Buttigieg à South Bend. En tant que journaliste, il a couvert le déclin de cette ville de la Rust Belt à partir de la fermeture de l’usine locale du constructeur automobile Studebaker en 1963. Et il a suivi sa renaissance sous la direction de son jeune maire polyglotte dont la maîtrise des langues inclut également l’arabe, le maltais, le français, l’espagnol et l’italien. Que pense-t-il aujourd’hui des ambitions présidentielles de Mayor Pete, qui est encore loin des principaux candidats démocrates dans les sondages ?

« Il n’est tout simplement pas logique de penser qu’il remportera l’investiture démocrate pour la présidence, a répondu Jack Colwell. Mais qui pouvait penser qu’Obama gagnerait lorsqu’il s’est lancé dans la course ? Certaines personnes disaient : “Il doit rester au Sénat, il doit finir son mandat.” Eh bien, si tu as une chance, vas-y. »

Un président gai ?

Fils de deux professeurs à l’Université Notre Dame, fleuron de South Bend en matière d’enseignement supérieur, Pete Buttigieg a dévoilé son homosexualité aux citoyens de sa ville au cours de son premier mandat à la mairie. Marié depuis l’an dernier à Chasten Glezman, il serait le premier candidat présidentiel ouvertement gai d’un grand parti s’il remportait l’investiture démocrate. Une première que Donald Trump ne manquerait pas d’utiliser contre lui, selon Jack Colwell.

« Est-ce que ça marcherait ? Cela n’a certainement pas marché à South Bend, une ville certes démocrate, mais plus conservatrice que plusieurs autres, a dit le journaliste. Mayor Pete a été réélu avec une plus forte majorité que lors de l’élection précédant son coming-out. S’il briguait le poste de gouverneur de l’Indiana, ça pourrait lui nuire dans les régions rurales. »

Un seul maire en fonction a reçu l’investiture d’un grand parti pour la présidence. Il s’agit de DeWitt Clinton, maire de New York, qui a par la suite été écrasé par le président sortant James Madison lors de l’élection de 1812.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.