Opinion Pascale Navarro

La place des femmes en théâtre : chantier féministe

Le mot « chantier » en évoque d’autres : « démolition », « matériau », « réparation », « construction ». C’est à tous ces mots que fait penser le fertile projet de l’ESPACE GO, La place des femmes en théâtre : chantier féministe, qui vient de consacrer toute une semaine à une réflexion collective sur la place des femmes en théâtre.

Par la prise de parole, les échanges et les débats, ce chantier souhaite poser les bases d’un renouvellement dans une perspective paritaire et égalitaire. Dans quelques semaines seront rendus publics les constats et les recommandations. 

Des racines bien ancrées 

Pour donner l’impulsion à cet événement, il y aura eu des bougies d’allumage. Des groupes qui travaillent depuis des années à ce chantier géant qu’est le féminisme auquel chaque époque ajoute un maillon à la chaîne. 

Certains groupes réforment ce qui existe déjà, d’autres agissent sur les racines : ils détruisent l’institution et reconstruisent. C’est le rôle d’un féminisme plus radical qu’ont incarné les créatrices des années 70, parmi lesquelles Denise Boucher (Les fées ont soif), Jovette Marchesssault, les créatrices de La Nef des sorcières, celles du Théâtre des Cuisines, et bien sûr du Théâtre expérimental des femmes devenu, sous la gouverne de Ginette Noiseux, le Théâtre ESPACE GO.

Ces artistes ont jeté les bases d’un théâtre institutionnel ouvert aux enjeux féministes et à la création des femmes. Les racines sont bien ancrées. 

Changer les mécanismes 

Il y aura eu aussi, en 2007, la mise sur pied des Réalisatrices équitables (RÉ), groupe qui a documenté et chiffré, avec la contribution du Réseau québécois en études féministes (RéQUEF), le déficit de représentation de réalisatrices et de femmes dans les métiers du cinéma.

Les RÉ ont réussi à influencer les institutions et leurs critères d’attribution de subventions aux projets de films. En effet, la SODEC et l’ONF, notamment, appliquent désormais des mesures qui favorisent l’égalité, et ce n’est pas pour rien que nous voyons et que nous verrons plus de films imaginés et tournés par des femmes dans les prochaines années (si ces mécanismes durent, bien sûr).

Dans la mouvance de ce changement est né l’organisme Femmes pour l’Équité en Théâtre (FET), aussi accompagné par le RéQUEF, solidaire des milieux qui ont besoin de leurs sciences et de leurs ressources pour cadrer les démarches. La semaine dernière, à l’ouverture du Chantier, FET a révélé des chiffres selon lesquels les femmes sont sous-représentées dans les mises en scène et les textes joués sur les scènes des théâtres québécois.

Par exemple, pour les saisons 2017-2018 et 2018-2019, ces théâtres ont mis en scène 31 % de textes féminins et 60 % de ces mises en scène étaient signées par des hommes. Dans les écoles de théâtre, les chiffres baissent à 16 et 80 %. Comment faire plus de place à la création féminine ? 

Passeuses solidaires 

Les changements n’arrivent pas sans les complices que sont les gestionnaires et les directrices féministes œuvrant au sein des institutions. On peut penser à la productrice Monique Simard, qui a porté le projet des Réalisatrices équitables, et à Ginette Noiseux, directrice artistique et générale de l’ESPACE GO, qui trace le sillon féminin et féministe dans la programmation depuis plus de 30 ans. 

Et on pourrait ajouter les femmes journalistes, qui déroulent aussi un fil de plus en plus solidaire avec les créatrices. Ce fut le cas de la chroniqueuse Odile Tremblay au Devoir, la première, à ma connaissance, à rendre compte des travaux des RÉ. Aujourd’hui, les quotidiens et les médias québécois donnent plus de place à la création féminine en général, et on le doit en grande partie aux femmes qui y travaillent. 

L’après-parité 

Grâce aux militantes et aux chercheuses qui ont dénoncé la sous-représentation des femmes dans la culture et les médias depuis des années, nous connaissons aujourd’hui un peu plus la pensée et la vision des femmes.

Ces mots, ces images, ces récits, ces idées sont en train de redéfinir les structures et les mécanismes des institutions et des savoirs, ce qui est exactement l’un des objectifs du féminisme.

Et il faut que cette transformation continue. Il faut que se déploie ce que j’appelle la « phase 2 » de la parité, car atteindre une égalité numérique n’est pas tout : il nous faut savoir ce que nous voulons dire, comment nous voyons le monde, ce que nous souhaitons créer, inventer, comment nous pouvons innover.

Nous avons besoin du génie féminin, qu’il puisse se manifester. Nous avons besoin de découvrir notre pouvoir. C’est à cette quête que contribuent des événements comme le Chantier féministe de l’ESPACE GO.

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