LES ENFANTS ET LES TABLETTES
Bons ou mauvais ?
La Presse
Travaillant avec des enfants présentant des troubles d’apprentissage depuis 1997, l’orthopédagogue Annie Lussier est plutôt favorable à l’utilisation des tablettes, mais pas aux jeux vidéo en général. « Il y a des différences entre les jeux vidéo et les tablettes. Dans ces dernières, plus de pédagogie peut y être injectée, alors que les jeux vidéo demandent plus d’adresse. »
La tablette, estime-t-elle, donne de plus une « ouverture sur le monde » aux enfants « qui les prépare au monde de demain ». Elle y voit un outil précieux pour les parents et les pédagogues qui veulent l’utiliser pour du renforcement positif. « Du genre : “Viens m’aider à ramasser les feuilles, tu vas pouvoir jouer sur la tablette pendant un certain temps.” »
Elle ne précise pas le temps maximal qu’un enfant peut passer sur une tablette, car elle estime qu’il peut varier en fonction des circonstances – temps maussade, comportement exemplaire dans la semaine de l’enfant. Une chose est claire : son utilisation doit être clairement balisée. « Ça prend une saine gestion. Entre telle heure et telle heure, tu as 15 minutes ou une demi-heure, il faut que ce soit clair et respecté. »
Aucune étude n’a démontré qu’un enfant qui utilise fréquemment une tablette aura tendance à avoir un déficit d’attention, précise-t-elle. Mais il y a de bonnes et de mauvaises applications : celles qui sont « vides, sans aucun apprentissage, où on met une barbe de couleur au père Noël ou on balaie l’écran pour lancer des quilles ». « C’est correct d’en avoir, mais pas de n’avoir que ça. L’important est de varier. »
Elle privilégie les jeux qui sollicitent l’exploration, la mémorisation et la créativité, qui vont permettre l’automatisation de certaines notions de calcul ou de français ou stimuler le raisonnement.
Chercheuse à l’Institut Douglas, intégré au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Véronique Bohbot a publié en mai dernier une étude remarquée établissant l’effet sur le cerveau des jeux vidéo de tir à la première personne, de type
. Essentiellement, les jeunes adultes étudiés qui passaient au moins six heures par semaine sur ces jeux avaient de meilleures capacités liées à l’attention visuelle. Mais ces jeux avaient également comme effet de stimuler davantage une zone du cerveau associée aux récompenses et aux dépendances, le striatum. Par contre, ces personnes sollicitent moins leur hippocampe, impliqué notamment dans la mémoire spatiale, la compréhension de l’environnement et la confiance en soi. De cette confirmation très pointue d’autres études sur les effets des jeux vidéo, M Bohbot tire cependant une conclusion claire : « Les jeux de tirs à la première personne semblent entraîner une atrophie du cortex entorhinal [associé à la mémoire et à la localisation dans l’espace] en fonction du temps passé à y jouer. C’est inquiétant, car ça montre un impact sur notre santé mentale. » Même si cette étude concernait surtout de jeunes adultes, la chercheuse estime que des leçons peuvent en être tirées pour les enfants. « Tout ce qui suscite un renforcement immédiat – du genre “Je tire, j’éclate la personne devant moi” – pourrait avoir un impact sur le striatum et, à long terme, c’est la partie du cerveau impliquée dans la dépendance. Dans les faits, c’est clair que ces gens-là ont plus de dépendances aux drogues et à l’alcool que la norme. »Elle ne s’oppose pas cependant aux jeux qui vont solliciter la logique, qui encouragent à faire des associations ou l’exploration, comme des casse-tête ou
.Auteur principal de l’étude à laquelle a collaboré M
Bohbot, Gregory West, professeur adjoint au département de psychologie de l’Université de Montréal, se consacre depuis des années à l’étude des différences entre les habitués du jeu vidéo et les non-joueurs.Premier avertissement : « On veut mettre tous les jeux vidéo dans le même panier, mais c’est plus nuancé, il y a des différences subtiles qu’on commence à trouver. »
D’abord, les joueurs auraient une meilleure coordination oculomotrice et une capacité supérieure à concentrer leur attention visuelle, par rapport aux non-joueurs. « Il y a des bénéfices et des impacts négatifs, comme l’a montré notre étude en mai dernier, mais nous ne faisons pas de lien de causalité : c’est une étude longitudinale où on scanne le cerveau et on mesure le changement. » Lui aussi considère que les enfants devraient être dirigés vers des jeux qui solliciteront davantage leur hippocampe, « des jeux de plateforme qui encouragent à utiliser des stratégies spatiales pour naviguer dans un environnement ». Des jeux comme
, « et même » sont bénéfiques à son avis : « Ils font des relations entre les objets et les repères, donnent une représentation dans le cerveau et une carte cognitive plus riche. »AMERICAN ACADEMY OF PEDIATRICS
L’American Academy of Pediatrics, qui regroupe les 64 000 pédiatres des États-Unis, a récemment mis à jour ses recommandations concernant les enfants et les tablettes, sous le titre éloquent de
(qu’on pourrait traduire par « Au-delà du débranchement »). Voici cinq recommandations :Le modèle parental est critique :
Limitez votre propre usage de la tablette. « Être un parent attentif implique que vous quittiez l’écran des yeux. »
L’éducation n’a pas changé :
Les mêmes règles parentales s’appliquent à l’environnement réel et virtuel des enfants. Jouez avec eux, imposez des limites, apprenez-leur la gentillesse et soyez impliqué.
Le contenu est important :
La qualité des jeux et des applications est plus importante que le média ou le temps passé à y jouer.
Le tri est nécessaire :
Il existe plus de 80 000 applications dites éducatives, mais elles sont de qualité très inégale. Des sites comme www.commonsensemedia.org peuvent donner un coup de pouce pour les évaluer.
Gardez des aires sans technologie
Éviter les écrans pendant les repas, rechargez les appareils pendant la nuit à l’extérieur de la chambre de l’enfant.