Alimentation

Menace pour la santé et l’environnement

Il se consomme aujourd’hui au moins trois fois plus de viande et de poisson qu’en 1971 sur la planète. La tendance est légèrement à la baisse au Canada et aux États-Unis, mais l’appétit grandissant de pays comme la Chine, le Brésil et l’Inde augmente la demande à l’échelle mondiale. Combinée à la croissance de la population, cette hausse de la demande met une énorme pression sur la capacité de production agricole mondiale.

« Il y a deux crises : celle de notre propre santé et celle de la santé de la planète », résume Michel Leboeuf, coauteur avec Michel Quintin d’Homo carnivorus, essai qui expose les enjeux cruciaux soulevés par l’alimentation carnée. La consommation de certains produits de viande est en effet associée au cancer, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Élever les milliards d’animaux qui finissent chaque année dans nos assiettes a aussi des impacts environnementaux majeurs : gaz à effet de serre (GES), déforestation, exploitation de l’eau douce, utilisation massive de pesticides et d’antibiotiques.

En 2050, la terre comptera environ 9 milliards d’humains, qui voudront possiblement manger du poulet, du porc, du bœuf, du poisson et des produits laitiers eux aussi. Pour nourrir la population mondiale, la production alimentaire globale devra pratiquement doubler, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui souligne l’urgence de la situation.

« On consacre des superficies considérables à nourrir les bêtes [d’élevage] et à faire pousser des végétaux pour les nourrir. Ce sont des questions qui reviennent fréquemment et on ne peut pas les ignorer. Elles sont fondamentales. »

— Michel Leboeuf, coauteur d’Homo carnivorus

L’augmentation des pâturages et des terres consacrées à la production alimentaire destinée aux animaux d’élevage a d’ailleurs été une cause majeure de déforestation dans certains pays, dont le Brésil.

Un rapport de la FAO paru en 2006 avance aussi que la quantité de GES globalement émis par le secteur de l’élevage est plus importante que celle générée par l’ensemble du système de transport mondial. La comparaison a suscité la controverse, mais, en 2014, l’organisme réitérait que « le secteur de l’élevage contribue de manière importante au changement climatique » et lui attribuait 14,5 % des GES découlant de l’activité humaine.

Le bœuf, un puissant polluant

Au premier rang des viandes les plus consommées à l’échelle planétaire le porc fait partie des produits d’élevage qui génèrent le plus de GES, avec le fromage, le bœuf, l’agneau et le saumon d’aquaculture. Les ruminants (bœufs et vaches laitières) sont particulièrement montrés du doigt puisqu’ils constituent une importante source de méthane (CH4), un GES 28 fois plus dommageable que le dioxyde de carbone (CO2).

« Produire de la viande à partir d’un ruminant comme le bœuf, ça reste beaucoup moins efficace que de produire de la viande de volaille ou de porc », dit Frédéric Guay, de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, en faisant notamment référence à la quantité de nourriture et d’eau nécessaire à l’obtention d’un kilo de viande.

Brenna Grant, de la Canadian Cattle Association, souligne cependant que l’amélioration des pratiques au Canada a diminué l’impact environnemental du bœuf local : il faut, selon l’association de producteurs, 29 % moins de bovins et 24 % moins de territoire qu’il y a 30 ans pour produire la même quantité de viande. L’industrie estime que la réduction de son empreinte écologique passe par l’amélioration du système agricole et des pratiques d’élevage (gestion de troupeaux, efficacité reproductive, amélioration de l’alimentation, etc.), constat que partage la FAO.

Viande et santé

L’augmentation de la productivité permettrait à un plus grand nombre d’humains d’avoir accès à de la viande. Sur le plan de la santé humaine, plusieurs enjeux importants subsistent toutefois. L’utilisation massive d’antibiotiques dans l’élevage industriel favorise le développement de bactéries résistantes aux médicaments, ce qui inquiète tant la FAO que l’OMS. La surconsommation de viande est aussi liée à certaines formes de cancer.

« Pour la viande rouge et la viande transformée, on fait un lien avec le cancer du côlon. La puissance des données est assez forte. »

— Nathalie Jobin, directrice scientifique d’Extenso, Centre de référence en nutrition de l’Université de Montréal  

En 2015, l’OMS a en effet classé les charcuteries (viandes transformées) parmi les aliments cancérogènes. La viande rouge (porc, bœuf, agneau, etc.), elle, est désignée comme « probablement » cancérogène.

Le Centre international de recherche sur le cancer recommande d’ailleurs de limiter sa consommation de viande rouge à 500 g par semaine, soit 26 kg par année. Les Canadiens en mangent environ 10 kg de plus à l’heure actuelle, selon Statistique Canada. Sans compter le poulet, qui est la viande la plus consommée au pays.

Le poisson est, sur le plan nutritionnel, une bonne option de rechange à la viande. Son empreinte environnementale est toutefois importante. « La moulée pour les poissons d’élevage est souvent faite à partir d’huiles et de farines de poissons sauvages », explique Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki. Ainsi, selon elle, on fait de la surpêche pour nourrir les humains et on fait aussi de la surpêche pour nourrir les poissons d’élevage. « L’impact sur la biodiversité est énorme », dit-elle.

vraiment carnivores ?

Nathalie Jobin estime que le Guide alimentaire canadien, actuellement en révision, devrait recommander de ne consommer de la viande que de façon « occasionnelle ». Les humains ne sont de toute façon pas faits pour manger de grandes quantités de viande, avance Michel Leboeuf, mais physiologiquement conçus pour une diète majoritairement composée de fruits, de légumes et d’autres produits végétaux. Bref, nous serions biologiquement des omnivores à tendance végétarienne.

Nos lointains prédécesseurs mangeaient de très petites quantités de viande comparé à ce qu’on mange aujourd’hui, dit aussi Richard Béliveau, directeur du Laboratoire de médecine moléculaire de l’UQAM. « Ce que nos ancêtres ont consommé et ce qu’on appelle la viande [aujourd’hui], ce n’est pas la même chose », ajoute le chercheur, aussi coauteur du livre Prévenir le cancer.

L’industrialisation de l’élevage et la transformation de l’alimentation des bêtes ont changé la nature même de la viande. Le bœuf d’élevage industriel compte, en résumé, plus d’oméga-6 (gras notamment associé à l’obésité) qu’un bovin qui a brouté de l’herbe (qui compte plus d’oméga-3, un bon gras). En Argentine, où les ruminants se nourrissent essentiellement dans les pâturages, le cancer colorectal est deux fois moins courant qu’au Canada, constate Richard Béliveau, malgré le fait que les Argentins mangent environ deux fois plus de viande rouge que nous, fait valoir le chercheur.

« On n’a plus le choix. On ne peut plus faire abstraction, en alimentation, des questions environnementales », tranche la nutritionniste Nathalie Jobin. Diversifier ses sources de protéines en allant vers les végétaux est un premier pas à faire, selon elle. Dans un avenir proche, on mangera possiblement des produits d’insectes. Et on devra sans doute se résoudre à manger moins de viande.

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