OPINION

Le vrai Nobel d’Obama

Compte tenu de la distance qui séparait les deux camps, l’accord sur le nucléaire conclu avec l’Iran est un événement historique

L’accord sur le nucléaire conclu entre le groupe de pays P5+1** et l’Iran est un événement historique compte tenu de la distance politique, sociologique, idéologique et humaine entre les deux camps et de la complexité autant technique que géopolitique du dossier.

C’est aussi le triomphe des sanctions imposées par la plus vaste coalition de tous les temps en la matière. Quoiqu’en disent les détracteurs, les paramètres de l’accord et le plan d’action conclu le 2 avril ont une densité à laquelle on ne s’attendait pas. Enfin, l’entente est assortie d’un régime d’inspection plus exigeant que celui prévu dans le cadre du traité de non-prolifération nucléaire.

Si l’accord prévoit un volet de coopération avec l’Iran dans le domaine nucléaire, le cadre des sanctions restera en place, car la confiance est loin d’être établie. Les sanctions américaines contre l’Iran au titre du terrorisme, des droits de la personne et des missiles balistiques restent en place. On ne parle donc pas d’un grand amour.

Pour le président Obama, cette entente est fondamentale. Il y va de sa place dans l’histoire. C’est son vrai prix Nobel. Elle est d’abord une réponse aux accusations de faiblesse du leadership américain. Même si les négociateurs ont pu imposer des paramètres rigoureux, le traitement de l’Iran sur un pied d’égalité est inacceptable pour les adversaires du président au Congrès, pour qui l’Iran reste le cœur de « l’axe du mal » et qui rappellent à l’envi que l’Iran continue à appuyer Assad, le Hezbollah, le Hamas, et menace Israël d’extinction.

À cela s’ajoute le froid Obama-Nétayahou. Par-delà l’irritation, pour ne pas dire l’hostilité que plusieurs leaders occidentaux éprouvent envers Nétanyahou, dans le cas d’Obama, il y a presque une concurrence entre deux conceptions du judaïsme. Obama est le plus juif des présidents américains ; sa carrière a été entourée de juifs progressistes, notamment à Chicago.

Issu du mouvement des droits civiques, du monde afro-américain, Obama appartient cependant à la gauche, héritier du mouvement Shuva du retour, admirateur de la justice sociale des kibboutz. Nétanyahou est l’opposé, héritier du sionisme révisionniste, de Jabotinsky, partisan d’une démarche militante, il a transposé la Shoah sur l’Iran qui devient la même menace qu’Hitler. Ce faisant, il est incapable de l’appréhender tel qu’il est et n’a aucune confiance envers Obama.

Mais il ne faut pas se leurrer : les Israéliens craignent aussi un rapprochement entre Téhéran et Washington au profit d’intérêts stratégiques plus importants dans le golfe Persique et dans la mer Caspienne.

Nétanyahou joue la carte de la menace existentielle, mais pense tout autant à la position de force dont jouit Israël au Moyen-Orient. Selon lui, l’Iran pourrait rompre cet équilibre.

Les républicains ne voient que des échecs dans la politique étrangère d’Obama. Certes, la stratégie américaine au Moyen-Orient manque de clarté et semble se réduire à un collage sans cohérence globale. C’est pourquoi il faut au président une victoire de politique étrangère qui soit transformatrice. Cependant, les dirigeants des pays arabes envisagent l’accord avec l’Iran avec une grande anxiété dans le contexte d’une région affligée de conflits de la Mauritanie jusqu’en Afghanistan.

Objectivement, quelle que soit la façon dont on le décrive, l’accord donne à l’Iran une nouvelle respectabilité. Mais Obama ne jouit pas d’une grande liberté de manœuvre en matière de rapprochement avec l’Iran, dans la mesure où les pays du Golfe resteront hostiles à ce pays au sujet du Yémen, de la Syrie, de l’Irak et du Liban, où les États-Unis ont des intérêts stratégiques. L’opération saoudienne au Yémen est un message qui s’adresse autant aux États-Unis qu’à l’lran.

Obama va devoir convaincre le Congrès et débouter les critiques de Nétanyahou, mais il doit surtout rassurer les pays de la région pour éviter une course aux armements. C’est d’ailleurs ce qui rend inconcevable le rejet de l’accord actuel, car là, sans aucun doute, cette course se déclencherait.

Ce sont tous ces facteurs qui déterminent à la fois l’ampleur – fort circonscrite – de la coopération irano-américaine pour les années à venir et l’importance de la conclusion de l’entente finale le 30 juin prochain.

*L’auteur est aujourd’hui professionnel en résidence à l’École d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

**P5+1 est le sigle donné au groupe de pays formé par les cinq membres du Conseil de sécurité (États-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni) et l’Allemagne.

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