Opinion : Éducation

Faire entrer l’école au XXIe siècle

L’éducation québécoise est en crise et cette dernière dépasse largement la question du désinvestissement de l’État dans les écoles, tout comme cela dépasse tout aussi largement le conflit de travail ayant connu son apogée l’automne dernier.

L’éducation québécoise est en crise parce qu’elle n’a pas su, au cours des dernières décennies, évoluer en suivant minimalement le même rythme que la société dans laquelle elle s’inscrit. Nous pouvons constater l’existence de trois fossés qui, quotidiennement, ne cessent de s’amplifier.

LE FOSSÉ GÉNÉRATIONNEL

Un simple constat qui est toutefois lourd de sens :  au Québec, tous les élèves du primaire ainsi que ceux du secondaire sont nés au XXIe siècle alors que leurs enseignants, eux, sont tous nés au XXe siècle. Ce fossé est amplifié par une organisation scolaire et, dans bien des cas, diverses approches pédagogiques qui datent, quant à elles, d’aussi loin que le XVIIe siècle.

De plus, les élèves qui rejoindront les rangs du secondaire à la prochaine rentrée scolaire entreront, pour la plupart, sur le marché du travail vers 2026 pour prendre leur retraite passé 2060.

Nous devons nous poser la question qui tue : préparons-nous adéquatement nos élèves actuels pour leur vie personnelle et professionnelle future ? La réponse est sans équivoque : NON !

Cela dit, comment pouvons-nous prétendre préparer nos élèves actuels pour la plus grande partie de leur vie adulte alors que nous leur enseignons dans des écoles dont le modèle est calqué, à plusieurs égards, sur des écoles datant de la fin du préceptorat ou, plus récemment, du rapport Parent ?

Les tentatives de modernisation de l’organisation scolaire ou des approches pédagogiques se butent trop souvent à des obstacles bureaucratiques, financiers, syndicaux et juridiques, et ce, sans parler de la prédisposition anémique des professionnels de l’éducation à changer leurs propres pratiques et à s’inscrire à des activités de formation continue.

LE FOSSÉ ORGANISATIONNEL

Le système scolaire québécois est une immense machine qui consacre ses énergies à justifier son existence au lieu de se mettre directement au service de l’élève. Les décisions qui sont prises dans leur prétendu intérêt sont pourtant prises dans des bureaux ministériels ou dans ceux des commissions scolaires, et ce, trop souvent sans égard à la culture de l’école où ces mêmes décisions seront appliquées.

Les écoles ont besoin de toute l’autonomie nécessaire pour mettre en œuvre des mesures déterminées localement par des leaders du milieu, ceux-là mêmes qui travaillent quotidiennement avec les élèves. C’est à eux que doit revenir ce pouvoir puisque c’est à eux de justifier les décisions auprès des parents et élèves qui fréquentent le milieu scolaire.

J’ai eu l’occasion d’échanger récemment avec le ministre de l’Éducation de la province australienne de New South Wales qui, à cet égard, a un slogan qui représente bien cette aspiration québécoise : « Local schools, local decisions ».

LE FOSSÉ DE LA FORMATION SCOLAIRE ET DES BESOINS DES MILIEUX PROFESSIONNELS

Le professeur de l’Université de Boston James G. Lengel démontre comment, dans son modèle de l’éducation 3.0, les milieux scolaires et professionnels sont désormais déconnectés alors que les premiers peinent à suivre les seconds. La professeure de l’Université Laval Margarida Romero a, quant à elle, développé un modèle expliquant les compétences du XXIe siècle. Elle met en relief l’importance de la pensée computationnelle, de la créativité, de la collaboration et de la résolution de problème dans une optique de développement de l’esprit critique, d’adaptabilité, de flexibilité et d’ouverture. Autrement dit, les élèves doivent résoudre les problèmes que nous n’avons pu résoudre nous-mêmes en plus de devoir en résoudre de nouveaux.

Il semble évident que le modèle actuel de l’éducation québécoise est décalé par rapport aux aspirations des jeunes qui fréquentent ses établissements. Il ne faut pas se surprendre des taux de décrochage scolaire qui demeurent élevés depuis trop longtemps. Les ministres de l’Éducation ont beau se succéder à la barre du ministère (12 ministres depuis les derniers états généraux), les problèmes demeurent les mêmes chez les élèves : décrochage, désinvestissement, démobilisation, désintérêt, etc.

Comme le citait l’illustre homme d’affaires américain Jack Welch, quand le niveau de changement à l’extérieur est plus grand que celui à l’intérieur d’une organisation, la fin est proche ! Notre modèle scolaire devra changer et à défaut de le faire volontairement, ce changement lui sera imposé.

Bien malheureusement, nous vivons encore des conséquences du dernier changement imposé au début du millénaire, alors que le Programme de formation de l’école québécoise peine toujours à rallier enseignants, directeurs et communauté scolaire. Il fait encore et toujours l’objet de critiques acerbes, plus de 15 années après son implantation.

* Également conférencier et auteur du livre Le changement en milieu scolaire québécois

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