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Tuée par une pierre lancée sur un véhicule

Récit d’une fête qui a mal tournée

À ce beau vendredi soir de septembre à Rawdon, on ajoute une quinzaine de jeunes fêtards, un feu de camp, de la bière coulant à flots, un triangle amoureux, une querelle, un camion qui vient fanfaronner et provoquer, une bête riposte.

L’équation aurait pu finir autrement, mais le soir du 10 septembre 2011, sur le chemin du Lac-Brennan, elle s’est conclue par la mort tragique d’une jeune fille de 16 ans.

Marianne (nom fictif) est morte la tête fracassée par une pierre, alors qu’elle était assise côté passager, dans le camion conduit par son ami de cœur, Nathan.

Un mois plus tard, Benjamin Lukian, 21 ans, a été accusé du meurtre non prémédité de la jeune fille. On lui reprochait d’avoir lancé la pierre qui a fracassé le pare-brise et tué Marianne. À quelques jours du début du procès criminel, l’an dernier, à Joliette, le procureur de la Couronne Éric Côté avait arrêté le processus judiciaire. Sans donner d’explications, comme c’est la prérogative de la Couronne. Cette dernière avait un an pour reprendre le processus, ce qu’elle n’a pas fait. 

Me Côté a confirmé la semaine dernière qu’il n’y aurait pas de procès. En conséquence, nous pouvons maintenant révéler la preuve qui avait été présentée à l’enquête préliminaire de Lukian, en 2013. Les témoins, qui étaient d’âge mineur au moment des faits, sont désignés par un prénom fictif.

« Je viens qu'à être fâché »

« Viens me chercher crisse. » Quand Nathan a reçu ce texto de Marianne, vers 23 h 15 le soir du 10 septembre 2011, il n’a fait ni une ni deux. Il a sauté dans son « pick-up », est parti de Saint-Calixte, « le pied un peu pesant » pour aller chercher sa blonde, qui marchait seule sur le bord de la 341, à Rawdon. Elle venait de quitter une fête, qui se déroulait sur le chemin du Lac-Brennan. Elle en était partie fâchée. Quand elle est montée dans le camion, Marianne a raconté que Benjamin Lukian lui avait fait une scène au party, qu’il lui avait dit des choses méchantes, fait des menaces et qu’elle était « tannée ».

« Veux, veux pas, elle me “prime”. Je viens qu’à être fâché. J’ai dit : tu vas me dire c’est où, je vais aller régler ça », a raconté Nathan.

Nathan et Lukian se connaissaient peu, mais l’animosité était réelle entre eux.

Nathan a expliqué devant le juge que Marianne était son amie de cœur depuis trois ans. Ils avaient rompu un mois auparavant, parce que Lukian était arrivé dans le portrait, et que Marianne était « allée avec lui ». À 17 ans, Nathan s’estimait cocu. Mais Marianne lui était revenue par la suite. Nathan tentait de reprendre confiance, a-t-il laissé entendre.

« Attention, il y a une hache »

Nathan était bien « pompé » quand il a pris la direction du party, avec Marianne à bord ce soir-là. Sur la 341, ils sont passés devant des policiers et ambulanciers qui intervenaient sur les lieux d’un accident. Rendu au party, Nathan a arrêté son camion sous un lampadaire. Il a mis la vitesse au point mort, a fait tourner son moteur. Il a baissé sa vitre et a frappé avec une batte de baseball sur le bord de son camion, « pour provoquer », a-t-il avoué.

« Après, j’ai redécollé, en voyant le monde autour du feu. J’ai vu le monde se lever, venir vers mon camion. »

Nathan est allé virer dans un stationnement et est passé une seconde fois devant le party. En roulant vite et en zigzaguant, selon des témoins. Des gens du party étaient maintenant sur la route. « Tout le monde était chaud », dira un témoin.

« Attention, il y a une hache », s’est écriée Marianne, à un certain moment. Nathan n’a pas vu la hache, mais pense que c’est ce qui a frappé son camion.

Il a fait demi-tour, et est repassé une troisième fois, en roulant vite. À une vitesse d’au moins 75 km/h, selon un témoin. Lukian était sur la route, quelqu’un l’a tiré pour qu’il ne se fasse pas percuter. Il a tout de même été heurté au thorax par le rétroviseur du camion. Des projectiles, dont une bouteille de cognac et un caillou, ont été lancés vers le camion.

Nathan affirme qu’il ne voulait pas repasser une quatrième fois. Il a cherché une issue, mais il n’y en avait pas. Il était pris dans un cul-de-sac. Il a été contraint de repasser, pour s’en aller. C’est là que c’est arrivé.

« Je voyais plus rien pantoute »

« Quand la roche a percuté le camion, tout ce que j’ai vu, c’est un nuage gris. Après ça, je voyais plus rien pantoute, à cause du nuage, des éclats de verre. Ça [la roche] a frappé sur le hood, ça a passé à travers le windshield, ça a tapé sur le dash, ça a rebondi sur Marianne, ça a ressorti en cassant la vitre arrière, ça a déboulé dans la boîte du camion, puis c’est tombé en bas », a raconté le jeune mécanicien.

Nathan se souvient qu’il a poursuivi sa route et s’est arrêté un peu plus loin. Marianne était affalée sur le siège. Il a tenté de la redresser. Il a passé son bras derrière son dos, s’est rendu compte qu’il avait du sang jusqu’au coude. Affolé, il s’est dirigé vers l’endroit où il avait vu les policiers, un peu plus tôt, pour chercher des secours. Quelques minutes plus tard, le party était interrompu pour de bon, par l’arrivée des policiers. « Ils nous ont embarqués », a dit un témoin.

Marianne a été déclaré morte le même jour, à l’hôpital du Sacré-Cœur. Lukian a été accusé dans la foulée.

« Je me sens soulagé »

Lors de l’enquête préliminaire, les témoignages n’étaient pas tous limpides. Lukian avait confié à un ami qu’il avait fait une gaffe, qu’il était dans la merde. Mais la possibilité qu’un autre jeune ait pu lancer la pierre a aussi été évoquée. Il s’agissait de Carl, chez qui la fête se déroulait. Quoi qu’il en soit, au terme de l’exercice, le juge Marc Vanasse avait conclu que la cause de Lukian devait être soumise à un jury.

Et voilà qu’à minuit moins une, l’an dernier, la vapeur a été renversée.

« Je me sens soulagé. C’est un gros poids qui m’est enlevé de sur les épaules. Ça a duré quatre ans et demi. C’était très stressant d’être accusé de quelque chose que je n’ai pas fait. C’était un tragique accident. Mes pensées sont avec la famille de la victime », avait confié Lukian, à La Presse, l’an dernier.

Me Éric Sutton, qui représentait Lukian dans cette affaire, était raisonnablement convaincu que le dossier ne serait pas réactivé. C’est maintenant confirmé, et il se dit soulagé pour son client.

« La police avait très vite mis le focus sur mon client, mais il a toujours clamé son innocence. C’était un dossier très difficile pour la poursuite et la police. Les preuves étaient tellement peu fiables, vu l’état des lieux et l’[état d’ébriété] avancé des témoins », a commenté Me Sutton.

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