SANTÉ MENTALE

L’expression d’un mal-être 

« En troisième secondaire, avec une amie, on s’était lancé le défi d’arrêter toutes les deux de s’automutiler le plus longtemps possible. Cette fois-là, j’ai tenu pendant trois mois. »

Emmie Wesline, qui a aujourd’hui 21 ans et qui est romancière, raconte s’être automutilée de 11 à 17 ans. « Je regardais l’émission Degrassi à la télévision et il y avait un personnage, Eli, qui consultait un psychologue pour tenter d’arrêter de s’automutiler. Moi, je n’ai pas retenu qu’il devait consulter pour son problème. Je n’ai retenu que cette idée de m’automutiler. »

La tendance à l’automutilation, comme le faisait Emmie, a bondi ces dernières années.

En cinq ans, le nombre d’hospitalisations à la suite de blessures auto-infligées – lacérations, brûlures de cigarette, etc. – a bondi de 85 % au Canada, selon l’Institut canadien d’information sur la santé. En chiffres bruts, cela représentait quelque 2500 hospitalisations en 2013-2014.

Et cette compilation n’inclut même pas la province qui se situe au deuxième rang pour la population, le Québec. Le ministère de la Santé confirme ne pas documenter le phénomène.

Mais c’est loin d’être parce qu’il n’existe pas, confirme le Dr Martin Gauthier, psychiatre à l’Hôpital de Montréal pour enfants du CUSM.

« À notre hôpital, la moitié des jeunes qui sont vus en urgence psychiatrique s’automutilent. En consultation externe, c’est le tiers des cas. »

— Le Dr Martin Gauthier

Si le problème est très répandu dans les centres jeunesse et dans les prisons, on le retrouve dans tous les milieux sociaux, indiquent les psychiatres interrogés.

Dans les statistiques canadiennes, la proportion est d’environ quatre filles pour un garçon, une proportion semblable à ce qui se voit dans la littérature à ce sujet.

« Les garçons ont davantage tendance à user de violence qu’ils dirigent vers les autres, observe le Dr Martin Gignac, chef de la pédopsychiatrie à l’hôpital Sainte-Justine. Chez les filles, on note une surreprésentation du problème parmi celles qui ont grandi dans des milieux carencés, au support familial effiloché. Elles souffrent souvent d’un vide intérieur, elles ont des relations conflictuelles, elles sont impulsives, du genre “tout ou rien”. »

« Les jeunes racontent s’automutiler pour évacuer une tension, mais derrière cela, il y a une réelle détresse, note pour sa part la Dre Johanne Renaud, pédopsychiatre au Centre Manuvie de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Si l’automutilation est distincte de la tentative de suicide, elle en demeure un important facteur de risque : 50 % de ceux qui s’automutilent ont un risque suicidaire. »

Emmie raconte que dans son cas, tout est parti d’un changement d’école, quand elle avait 10 ans. Elle s’est alors sentie très seule, en plus d’être victime de taquineries et d’intimidation en raison de ses quelques kilos en trop.

« Très vite, l’automutilation est devenue pour moi une drogue dont je ne pouvais plus me passer. La perspective de m’automutiler, le soir, m’aidait à passer à travers ma journée. Je savais que je trouverais ainsi un soulagement. »

UN SOULAGEMENT BIEN TEMPORAIRE

Se faire mal, un soulagement ? Cela survient parfois parce que l’automutilation peut avoir pour effet biologique de libérer des endorphines (des médecins prescrivent d’ailleurs parfois un médicament qui vient bloquer cette réponse des endorphines).

Le soulagement qu’on peut tirer de l’automutilation est de très courte durée, relève le Dre Renaud. « Ça libère momentanément une certaine tension, mais ça ne règle aucun problème de fond et le grand danger, c’est que ça devienne comme une drogue. Quand on commence jeune, le risque est grand que ça se chronicise. »

Comme bien d’autres jeunes qui utilisent cet exutoire, Emmie a fait une tentative de suicide, à 17 ans. « Quand mes parents m’ont annoncé qu’ils allaient divorcer, ça s’est rajouté à tout le reste et j’ai fait une tentative de suicide. »

« J’ai été hospitalisée en psychiatrie, poursuit-elle. On a trouvé des rasoirs sur moi. Quand je suis repartie, à l’hôpital, on m’a demandé si je voulais les reprendre. J’ai répondu que non. Là, j’étais déterminée à m’en sortir et j’ai été vue par une travailleuse psychosociale au CLSC. »

UN EFFET DE MODE ?

Mais pourquoi les jeunes sont-ils si nombreux maintenant à s’automutiler ? Est-ce une mode ?

« Il y a certainement un effet d’entraînement, répond la Dre Renaud. Beaucoup de sites internet en parlent. »

« Il y a quelque chose de l’ordre de la contagion », croit aussi le Dr Martin Gauthier, de l’Hôpital de Montréal pour enfants, qui se demande pourquoi ce phénomène émerge si massivement, là, maintenant.

Il avance qu’avec l’internet, les jeunes ont aujourd’hui beaucoup plus tendance à chercher des réponses à l’extérieur d’eux-mêmes plutôt qu’à donner dans l’introspection.

Le Dr Gauthier soumet le phénomène pourrait avoir un certain lien avec cette question du corps qui, soudainement, n’est plus claire et nécessite une réflexion. « En clinique, on voit aussi de plus en plus de jeunes transgenres. Le questionnement ne touche plus tant l’orientation sexuelle que l’identité sexuelle, dont la réponse n’est plus binaire. En fait, pour eux, être gai, c’est aussi straight qu’être hétérosexuel. »

L’automutilation, est-ce une façon d’attirer l’attention ? « C’est plutôt un appel à l’aide, une façon de dire sa détresse de façon très inappropriée et dangereuse », corrige la Dre Renaud.

L’important, conclut-elle, c’est de ne pas laisser le problème s’installer, mais de suivre le plus rapidement possible une psychothérapie. « On peut s’en sortir », insiste-t-elle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.