Analyse

Les taux d’intérêt vont bientôt grimper

Investisseurs, spéculateurs et emprunteurs en tout genre doivent s’y faire : les taux d’intérêt vont augmenter au Canada et plutôt tôt que tard.

Coup sur coup lundi et mardi, la première sous-gouverneure de la Banque du Canada Carolyn Wilkins et le gouverneur lui-même Stephen Poloz ont indiqué dans le style feutré propre aux banquiers centraux que les autorités monétaires sont désormais prêtes à retirer progressivement le stimulus monétaire exceptionnel en place.

« À mesure que la croissance continuera de progresser et, idéalement, de se diversifier, le Conseil de direction de la Banque évaluera si la détente monétaire considérable actuellement en place est toujours entièrement nécessaire », a déclaré Mme Wilkins lundi.

Hier au cours d’une entrevue à la CBC, M. Poloz a renchéri. Les deux baisses de taux (en 2015) pour amortir le choc pétrolier « ont grandement fait leur boulot » a-t-il déclaré.

Le dollar canadien a gagné un cent et demi en deux jours face au billet vert tandis que le taux d’intérêt sur les obligations fédérales venant à échéance dans deux ans est grimpé à 0,84 %, son taux le plus élevé depuis janvier 2015.

Ceux qui spéculaient sur un affaiblissement du huard face au billet vert en postulant le statu quo monétaire prolongé alors que la Fed est en mode resserrement auront essuyé des pertes pour couvrir leurs positions.

Plusieurs services de recherches des banques canadiennes ont alerté leurs clients hier pour les aviser qu’ils voyaient un premier tour de vis dès octobre plutôt qu’en janvier, voire avril 2018.

On ne peut exclure une première hausse dès juillet, suggère même Douglas Porter de BMO, Marchés des capitaux, bien que ce ne soit pas son scénario de base. Il a qualifié le discours de Mme Wilkins de probable tournant (« potential watershed »)

Juillet n’a rien de farfelu. Sous la gouverne de M. Poloz, la Banque a rompu avec la pratique des indications prospectives, initiée par son prédécesseur Mark Carney et reprise par plusieurs autres banques centrales dont la Réserve fédérale américaine (qui haussera à nouveau son taux directeur vraisemblablement cet après-midi), la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre depuis qu’elle est dirigée par M. Carney.

M. Poloz a déjà indiqué que ce sont les participants du marché qui doivent assumer le risque d’un changement de politique monétaire et non la Banque centrale.

M. Poloz n’a d’ailleurs pas hésité à les prendre à contre-pied en 2015 en abaissant à deux reprises le taux directeur jusqu’à 0,5 % afin d’aider l’économie canadienne à absorber le choc pétrolier.

De l’aveu même de la Banque, l’ajustement à la baisse des prix du pétrole est complété, ce qui rend superflu l’assouplissement mis en place pour y faire face.

Dans un premier temps, il faut orchestrer le retour au taux directeur de 1 % en place avant le choc.

Ce redressement presse plus que certains veulent encore l’admettre. L’économie canadienne va très bien depuis l’été. Sa croissance réelle de juillet à mars s’élève à 3,1 %, soit davantage que sa progression au cours des 24 mois précédents. Le taux d’utilisation des capacités industrielles a atteint 83,3 % au premier trimestre, selon Statistique Canada. Cela correspond au niveau d’avant la Grande Récession. En outre, on considère que l’économie tourne à plein régime quand le taux d’utilisation atteint 84 %.

Vrai, les États-Unis laissent planer des menaces protectionnistes et le taux d’endettement des ménages peut être exacerbé par la flambée des prix des maisons, à Vancouver et à Toronto. Cela toutefois ne doit pas empêcher la Banque de retirer le stimulus monétaire dicté par le choc pétrolier qui a fait son œuvre.

Dans un deuxième temps, la Banque doit orchestrer le retrait progressif du reste de son accommodement monétaire. Autrement dit, rapprocher le taux directeur du taux neutre, c’est-à-dire celui où la politique monétaire n’est ni accommodante ni restrictive. La Banque estime que ce taux se situe entre 2,5 % à 3,5 %. On est bien loin du compte. À 0,5 %, le taux directeur est à peine 25 centièmes plus élevé que le taux fixé en 2009 pour face à la Grande Récession.

Pour qu’une initiative monétaire soit efficace en matière d’inflation, il faut compter jusqu’à deux ans.

Au rythme de croissance actuel, il ne restera plus de capacités excédentaires dans l’économie à la fin de l’année ou durant l’hiver prochain. L’inflation, présentement à 1,6 %, devrait être à 2,1 %, selon le scénario économique d’avril de la Banque.

Comme l’a bien expliqué Mme Wilkins lundi : « Au volant de votre auto, lorsque vous apercevez un feu rouge au loin, vous relâchez tranquillement l’accélérateur afin de ralentir en douceur. Vous évitez d’appliquer brusquement les freins. »

Il en va de même en matière d’assouplissement monétaire. Restent aux investisseurs, aux spéculateurs et aux emprunteurs de jauger la distance du feu rouge. Il est moins loin que la majorité le pense.

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