Chronique

Réconciliations joufflues

Et si on faisait la paix ? Le temps des Fêtes, c’est le temps des résolutions du Nouvel An. Mais c’est aussi le temps des réconciliations. La Presse vous propose trois regards bien différents sur un même thème : faire la paix.

En 2010, notre chroniqueur Marc Cassivi publiait un texte particulièrement virulent sur Filière 13, film réalisé par le comédien et humoriste Patrick Huard. L’artiste, vexé, lui avait répondu par différents médias interposés. Près de dix ans plus tard, les deux quadragénaires se réconcilient officiellement autour d’un repas qui a duré plus de deux heures. Extraits.

MARC CASSIVI : Après la publication de ma chronique sur Filière 13, tu es allé à la radio, chez Franco Nuovo, et tu as dit que si tu en avais l’occasion, tu me servirais du spaghetti « passé date ». Je devrais me méfier ?

patrick huarD : Haha !

M.C. : On me reparle souvent de ce papier-là. J’étais à la radio, cet automne chez Marie-Louise Arsenault, et on parlait, avec René Homier-Roy et Nathalie Petrowski, des fois où l’on avait été les plus durs dans nos critiques. C’est l’exemple qui a été donné. J’ai changé depuis, je crois.

P.H. : Moi aussi, après ma réaction initiale et mes commentaires à chaud, j’ai changé. Avec le recul, je trouvais que je n’avais pas respecté les règles du jeu. Tu ne peux pas être pour la liberté d’expression, véritablement, et jouer au « bully » avec quelqu’un qui ne s’exprime pas comme tu l’aurais voulu. D’un autre côté, je trouvais qu’il fallait aussi que j’aie le droit d’exprimer ce que je ressentais et ce que je pensais, mais en m’élevant au-dessus d’un certain discours. C’était vraiment la méthode Trump d’il y a 10 ans.

M.C. : Il y a eu une surenchère dans tout ça. J’ai d’abord écrit une chronique où, au passage, j’égratignais ton film, que je n’avais pas aimé, avec une petite craque. Je t’ai entendu le matin même à la radio me traiter de « joufflu ». Ça m’avait piqué au vif ! (Rires.) Je me suis dit : « OK. Je vais lui dire ses quatre vérités à celui-là ! » C’est là que, moi aussi, j’ai outrepassé les limites. Je ne parlais plus seulement de l’œuvre, mais de mes inimitiés. C’est devenu un combat de coqs.

P.H. : Exactement. C’était une affaire d’orgueil. J’ai répondu avec une attaque personnelle. Ça venait de loin. Des petites craques de ta part, il y en avait eu avant aussi. Sur le premier Bon cop, bad cop, par exemple. Je les accumulais. On aime faire de l’effet. Il faut se l’avouer. Je savais très bien qu’en te répondant sur ce ton-là, je faisais plaisir à une bonne partie de mon public. Mais ça n’élève pas le discours pour autant. Avec plus de perspective, en vieillissant, tu te rends compte que l’arrogance, c’est un énorme manque de confiance. Tu veux faire ta place, tu veux faire ta marque. Et des fois, tu n’as pas de considération pour l’autre. Jusqu’à ce que tu y réfléchisses davantage. Je me suis surpris, par la suite, à prendre ta défense sur certains points. Il y a des gens qui pensaient me faire plaisir en disant des méchancetés sur toi : « C’est un cave ! » Euh… non ! « De toute façon, qu’est-ce qu’il connaît au cinéma ? » S’cuse-moi, mais il connaît ça en tabarnak ! Peut-être qu’on n’aime pas le même genre de films, peut-être qu’on n’est pas d’accord, mais tu ne me diras pas que ce gars-là ne connaît pas le cinéma !

M.C. : De la même manière, j’ai toujours fait la part des choses entre cet « incident » et le reste de ton travail. Je t’ai trouvé excellent comme acteur dans plusieurs films, avant et après Filière 13, et je ne me suis jamais gêné pour le dire. Mais on a surtout retenu ce que j’avais dit cette fois-là, parce que c’était un coup de gueule moins nuancé. C’est un piège. Ça cristallise un point de vue sur une œuvre au détriment du reste. Dans le magazine Urbania, on avait publié une image pleine page de moi en poupée vaudou et c’est ta blonde qui me piquait avec des aiguilles. C’était très drôle ! Mais ça avait pris des proportions incroyables. [Anik Jean, la compagne de Huard, avait déclaré à la première du film : « Dans la vie, il y a des junkies, des tueurs en série, des gens qui violent du monde et des journalistes caves ! »]

P.H. : C’est devenu un symbole. Ça devient drôle avec le temps. Il y a des nuances qui se perdent. Je n’étais pas content de Filière 13. J’essayais de sauver la face et de sauver le film, qui n’était pas encore sorti. J’avais la responsabilité de me battre pour le film.

M.C. : Mais tu étais lucide par rapport à ses défauts…

P.H. : Complètement ! C’est très rare que tu lises une critique de ton film et que tu apprennes quelque chose. Les problèmes dont parle la critique, ça fait des semaines que tu te bats avec en montage. Alors que j’étais très fier de ma job sur Les trois p’tits cochons, sur Filière 13, je ne l’étais pas.

M.C. : Tu parlais de faire de l’effet. Le danger, c’est que ça marche. Comme critique, pour ne pas être accusé de complaisance, on peut être très dur, et c’est comme ça qu’on se fait remarquer. Mais est-ce qu’on peut être nuancé et tout de même pertinent, sans faire de l’esbroufe ? La nuance n’a pas la cote, mais c’est pourtant la preuve d’une réflexion plus mûre. Je reverrais Filière 13 et j’en penserais probablement la même chose ! Mais je le dirais autrement.

P.H. : Peut-être aussi que tu n’y aurais pas consacré autant d’espace si je ne t’avais pas attaqué personnellement !

M.C. : Sans doute. Je n’y serais pas revenu en chronique. Mais tu m’as traité de joufflu, et je l’étais ! (Rires.)

P.H. : Moi aussi ! (Rires) C’était aussi au début des médias sociaux. Il y avait deux effets pervers à ça. On se faisait encourager par notre monde, qui nous sanctionnait et nous justifiait. Et d’instinct, on cherchait une façon de compétitionner à travers ça. Dans votre métier, ça a changé énormément de choses. Et dans le nôtre aussi.

M.C. : C’est vrai. Après cette histoire-là, j’ai cessé de chercher à savoir ce qui s’écrivait sur moi. Je perdais trop de temps dans ce déversoir de haine. C’est vrai pour les chroniqueurs, en particulier pour les femmes. Mais pour les artistes, c’est encore pire. On ne t’aime pas la face parce qu’on ne t’aime pas la face !

P.H. : Il faut gérer tout ça. Avant, tout ça se passait autour de la machine à café, alors on ne le savait pas. On ne le voyait pas. Là, la machine à café est devant tout le monde. Avec le temps, j’ai fini par comprendre que ceux qui ne m’aiment pas, je leur offre aussi une forme d’entertainment. Ils en retirent quelque chose. Pendant qu’ils disent à leurs trois amis : « Lui, je suis pas capable ! », ils ont du plaisir. Du plaisir « weird », tu me diras, mais du plaisir quand même !

M.C. : C’est une façon philosophe de voir les choses… C’est plus difficile de voir ça à 35 ans.

P.H. : Ce n’est pas une excuse, mais ça fait 30 ans que je fais ce métier-là, et je pense que j’ai eu le syndrome de l’imposteur pendant 22 ans. D’abord, comme humoriste, parce que j’étais très jeune. Ensuite comme comédien, parce que ça ne faisait pas plaisir aux acteurs que je sois là. J’avais des complexes parce que je n’avais pas de diplôme. J’ai souvent senti plus jeune une forme de condescendance, dont il a fallu que je me libère. Je suis beaucoup plus serein aujourd’hui. J’ai déjà eu la quête d’être « le meilleur ». Plus maintenant. Excellent dans rien, mais se débrouille dans tout.

M.C. : Jack of all trades. Master of none.

P.H. : Ça me décrit bien, je trouve.

M.C. : En vieillissant, on n’a plus les mêmes ambitions. On ne fait plus d’effets de toge parce qu’on a un sens plus profond des priorités. Notamment quand on a des enfants.

P.H. : Avoir des enfants, ça fait réfléchir au legs. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de devenir membre du conseil d’administration de Québec Cinéma. Comment on protège et défend le cinéma québécois ? Si je peux participer à ça, peut-être que mes enfants vont continuer de regarder des films québécois. C’est mon plus gros combat. Moi qui fais du cinéma populaire, je défends toujours les films plus nichés. Mais ceux qui font des films plus nichés ne veulent pas que je fasse des films populaires ! Je suis ton ami, man !

M.C. : Tu sens ce snobisme-là ?

P.H. : Des fois. Pas par rapport à moi directement. Mais par rapport à l’art populaire, je le sens encore très présent. Parfois, c’est un peu étrange, parce que certains me parlent d’art populaire comme si ce n’était pas ça que je faisais ! Je suis Rogatien [dans Taxi 0-22] ! C’est de moi que tu parles. Contrairement à ce que les gens pensent, faire de l’art populaire, ce n’est pas un effort ni une volonté, ça coule de source. C’est ce que je fais d’instinct. Parce que c’est ce qui m’inspire. Il y a une forme de snobisme envers les gens qui veulent rejoindre le public. Certains pensent que c’est une forme de compromis, de putasserie ou de perversion de l’art.

M.C. : En journalisme aussi, on écrit pour être lu. Je ne fais pas un sujet parce que je sais que ça va « cliquer ». Je le fais parce que je trouve ça pertinent ou que j’ai envie d’échanger avec quelqu’un qui a un propos intéressant. Mais si je n’écrivais que pour moi, ce ne serait d’aucun intérêt.

P.H. : Un journaliste a un pouvoir énorme. Plus il est lu, plus il a le pouvoir de faire découvrir des choses, de mettre en lumière un sujet, de mener la discussion sur une voie qu’il a choisie. C’est la même chose quand tu as une forme de notoriété comme artiste. Ça attire l’attention sur des projets parfois plus marginaux. L’important, c’est de faire évoluer la pensée. Ça pourrait d’ailleurs être la conclusion de nos réconciliations ! Notre pensée a évolué pendant toutes ces années. On a changé un peu, mais fondamentalement, pas tant que ça. En vieillissant, on réussit à se débarrasser d’une ou deux conneries, mais pour le reste, nos qualités s’améliorent et nos défauts s’empirent. Si on ne donne pas le temps à la pensée d’évoluer, et qu’on laisse aux réseaux sociaux le soin de gérer les sujets, ça n’a pas de sens. Il faut se donner le temps de discuter, d’échanger, de réfléchir. Et de changer d’idée.

Patrick Huard sera de la nouvelle série Les honorables, à compter du 10 janvier sur Club illico

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.