Grande entrevue Alain Bellemare

« Les Québécois ont eu raison d’être en colère »

C’est à l’issue d’une matinée extrêmement chargée au cours de laquelle il venait de faire le tour d’à peu près tous les médias québécois qu’Alain Bellemare m’a reçu, hier midi, au siège social de Bombardier. Loin d’être vanné d’avoir à justifier encore une fois le mode de rémunération de la haute direction de Bombardier, le PDG a en remis.

« Les Québécois ont eu raison d’être en colère contre nous, on a mal expliqué notre position par rapport à l’investissement de 1 milliard US que le gouvernement venait de réaliser dans la C Series », convient Alain Bellemare.

Le PDG admet que Bombardier a fait preuve de manque de sensibilité à l’égard des Québécois par rapport au soutien financier que l’entreprise avait obtenu, un an plus tôt, de la part de l’ensemble des contribuables de la province.

« Les Québécois sont fiers de Bombardier et là, subitement, ils ont eu l’impression que la haute direction allait hausser sa rémunération de 50 % en puisant à même le milliard US de fonds publics que Québec venait d’investir. Je comprends très bien leur réaction. On n’a pas été sensibles à l’impact que cela pourrait avoir.

« Je suis québécois et je suis revenu travailler chez Bombardier parce que c’est la plus grosse entreprise industrielle canadienne et que c’est une multinationale dont je suis très fier », poursuit le PDG.

Une circulaire complexe

Alain Bellemare revient encore sur le fait que l’entreprise a mal communiqué l’information contenue dans la circulaire aux actionnaires, dans laquelle il était annoncé que les six plus hauts dirigeants de Bombardier allaient encaisser pour 2016 une hausse de 48 % de leur rémunération par rapport à 2015.

« On a mal expliqué qu’une partie de la hausse était liée au fait que cinq des six dirigeants étaient entrés en fonction durant l’année 2015, mais on a surtout mal expliqué que cette hausse allait être payée seulement dans trois ans et à la condition que l’entreprise atteigne des objectifs financiers et opérationnels très précis », renchérit le PDG.

On le sait, Alain Bellemare a annoncé dimanche soir que le paiement des primes aux dirigeants était reporté d’une année additionnelle, soit en 2020, et seulement si les revenus de Bombardier – qui sont de 16 milliards US – franchissent la marque des 25 milliards US, que l’entreprise ait renoué avec la rentabilité et qu’elle ait amorcé le remboursement de sa dette.

« Il faut préciser aussi que 50 % de toute la rémunération des hauts dirigeants – pas seulement les bonis – est conditionnelle à la réalisation d’objectifs financiers précis. Dans mon cas, c’est 60 % de ma rémunération qui est conditionnelle à l’atteinte d’objectifs préétablis.

« Si on fait de l’argent dans quatre ans, c’est que tous les actionnaires en ont fait et que les [contribuables] québécois aussi en auront fait. C’est une compensation alignée avec les intérêts des actionnaires », insiste Alain Bellemare.

comme le Canadien

Le PDG de Bombardier est bien conscient que la crise qui sévit depuis mercredi dernier est encore loin d’être résorbée, comme en fait foi la motion que les partis de l’opposition à Québec entendent déposer aujourd’hui pour exiger l’annulation de toute hausse de rémunération des hauts dirigeants de Bombardier.

« Pour les Québécois, Bombardier, c’est comme le Canadien de Montréal. On est fiers d’eux et on les encense quand ça va bien, mais on est capables de les haïr quand ça va mal », expose Alain Bellemare.

Le PDG estime que la crise en cours lui a fait comprendre que l’entreprise devra dorénavant observer une très haute et constante sensibilité à l’égard de la composante publique de son actionnariat.

« L’an prochain, quand on va publier notre circulaire aux actionnaires, on va prendre bien soin de l’assortir d’une déclaration publique explicative, et je vais me charger moi-même de rencontrer les chefs de tous les partis politiques pour leur expliquer la portée exacte de chacune des mesures. »

— Alain Bellemare

Quant à ceux qui reprochent à Bombardier de consentir une hausse de rémunération à ses hauts dirigeants (même si elle est conditionnelle) alors que l’entreprise est en voie de compléter un programme d’attrition de 14 500 emplois, Alain Bellemare explique que l’entreprise devait agir.

« Il fallait réaligner nos coûts pour générer des niveaux de liquidités viables. On n’avait pas le choix de réduire nos effectifs pour atteindre nos objectifs financiers.

« On l’oublie, mais en 2015, on n’a pas seulement été chercher 1 milliard US de Québec. On a fait une émission d’actions de 1 milliard US, on a contracté 2 milliards US d’emprunts bancaires et on a cédé 30 % de notre division Transport à la Caisse de dépôt pour 1,5 milliard US », rappelle le PDG.

À cet égard, Alain Bellemare souligne que c’est Bombardier qui a préféré s’adjoindre la Caisse de dépôt et placement comme partenaire dans Bombardier Transport parce que l’entreprise voulait un partenaire qui soit près d’elle et comprenne bien ses opérations.

« On a fait un appel d’offres, et il y avait deux finalistes. On a préféré la Caisse à une banque d’investissement parce qu’on voulait s’associer à une institution proche de nous », précise le PDG.

Alain Bellemare sait toutefois que la crise est loin d’être passée et que cela prendra du temps, de la patience et un meilleur dialogue pour qu’elle s’estompe. Mais ce seront avant tout les succès à venir de la C Series, du Global 7000 et de sa division Transport qui cicatriseront le mieux les plaies d’aujourd’hui.

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