« Je ne suis pas surpris du tout »

Cinq fondeurs sont arrêtés dans un raid policier pour démanteler un réseau international de dopage sanguin. Les Canadiens réagissent.

Seefeld, Autriche — C’est Devon Kershaw, converti en journaliste pendant les Championnats du monde, qui a propagé la nouvelle à ses anciens coéquipiers de l’équipe canadienne : un raid antidopage d’envergure venait de se produire en plein cœur du village de Seefeld, hier après-midi.

Cinq fondeurs et quatre autres personnes, dont un médecin et son complice, ont été arrêtés dans une rafle menée parallèlement à Erfurt, en Allemagne, plaque tournante de ce « réseau international de dopage sanguin » actif depuis plusieurs années.

Alex Harvey était à son condo quand il a reçu une capture d’écran en provenance du téléphone de son ami, qui attendait le début du 15 km classique en bordure du parcours pour Eurosport. Quatre noms flashaient comme non partants : l’Autrichien Max Hauke, les Estoniens Andreas Veerpalu et Karel Tammjarv et surtout le Kazakh Alexey Poltoranin, qui figurait parmi les favoris.

Parmi les athlètes arrêtés, Hauke et son compatriote Dominik Baldauf, surprenants sixièmes au sprint par équipes dimanche, ont été identifiés par un quotidien autrichien. En conférence de presse à Innsbruck, la police fédérale n’a pas nommé les trois autres, se contenant d’indiquer qu’il s’agissait de deux Estoniens et d’un Kazakh.

Avec une aiguille dans le bras…

Qualifié de « groupe criminel », le réseau mis en cause « est fortement suspecté d’avoir utilisé le dopage sanguin sur des athlètes d’élite pendant des années pour améliorer leurs performances lors de compétitions nationales et internationales », a précisé Dieter Csefan, de l’office fédéral autrichien de police criminelle, tel que l’a rapporté l’Agence France-Presse.

L’un des skieurs interpellés a été « pris sur le fait », en pleine « transfusion sanguine dans le bras ».

« Je ne suis pas surpris du tout », a réagi Harvey, joint au téléphone quelques minutes après avoir pris connaissance des premiers détails de l’affaire. « Du dopage, il y en a encore dans le ski de fond, j’en suis pas mal convaincu. Je ne suis pas aveugle. C’est sûr que ça m’écœure. On aime notre sport et des affaires comme ça, ça ternit le sport. »

Harvey suspecte Poltoranin depuis de nombreuses années. « C’est dur, on n’a aucune preuve, mais on regarde les circonstances. Depuis qu’il est junior, il a toujours fait bande à part du reste de l’équipe kazakhe, avec son propre docteur. Chaque fois, on levait des drapeaux rouges, mais on ne le sait pas, on ne voit pas son niveau d’hématocrite [valeur sanguine]. »

Depuis 2013, Poltoranin s’entraîne en Estonie avec Andrus Veerpalu, le père d’Andreas, un triple médaillé olympique qui a été déclaré positif aux hormones de croissance en 2011. Le Tribunal arbitral du sport avait annulé sa suspension pour des raisons techniques. Mati Alaver, entraîneur de Veerpalu père à la réputation sulfureuse, dirige la petite cellule.

Au 10 km style libre des Mondiaux juniors de 2007, Harvey, médaillé de bronze, avait partagé le podium avec Poltoranin, qui avait remporté l’argent.

« Le Finlandais qui avait gagné l’or avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles, moi aussi, et Poltoranin ne souriait pas, il avait l’air d’un robot, s’est souvenu Harvey. Ce ne sont que des feelings, mais il y en a toujours dans le lot dont on se dit qu’ils se dopent. »

Leurs chemins se sont aussi croisés aux Mondiaux de Val di Fiemme, en 2013, où Poltoranin avait devancé Harvey pour la troisième place du sprint par équipes. 

« Il m’a battu par un orteil… Dans l’éventualité où il était dopé, ce sont carrément des moments volés. »

— Alex Harvey au sujet du Kazakh Alexey Poltoranin aux Mondiaux de 2013

Pour Kershaw, cette quatrième place est encore plus cruelle. Numéro deux mondial l’hiver précédent, il peinait avec une triple déchirure ligamentaire à un pied. Il misait beaucoup sur cette épreuve dont il était tenant du titre avec Harvey.

« Si j’avais gagné une médaille aux Championnats du monde, je ne sais pas ce que ça aurait fait à ma confiance par la suite. Cette année-là, plus que toutes les autres, j’en aurais eu besoin. C’est incroyablement triste pour moi. »

Un mois plus tôt, toujours en Italie, Poltoranin avait remporté une étape du Tour de ski. Sur ce 15 km en départ de groupe, il avait devancé le Canadien Len Valjas par un dixième de seconde. Harvey avait fini troisième à quatre dixièmes.

Valjas a appris l’implication probable de Poltoranin de la bouche de Kershaw en sortant de piste après sa 47e place au 15 km, hier. « Bien sûr, c’est poche, mais si c’est lui, je vais ouvrir une bouteille de champagne », a réagi le grand Torontois, qui ne revendique qu’une seule victoire en Coupe du monde, avec Harvey, en 2017.

« Il y a toujours des gens pour qui j’ai des doutes, et honnêtement, Poltoranin en faisait partie, a poursuivi Valjas, qui dispute sa dernière saison. J’ai toujours dit que s’il se faisait arrêter, je revendiquerais cette victoire au Tour de ski juste pour moi, même si c’est juste une petite affaire personnelle. Hey, le Canada aurait pu être premier et deuxième cette journée-là ! Mais je ne m’en fais pas avec ça. »

Satisfait de ce raid policier, peut-être le seul moyen de détecter les tricheurs, Valjas préférait souligner la probité de ses compatriotes. « On a parfois de vraiment mauvaises journées, mais au moins, on sait qu’on est propres et justes. »

« Presque irréel »

Les derniers événements à Seefeld ont abasourdi Pierre-Nicolas Lemyre, le nouveau conseiller en haute performance et développement de Ski de fond Canada. « C’est presque irréel comme situation, a-t-il commenté. On pensait vraiment qu’on en avait fini avec ces scandales, que le monde avait compris que ça ne faisait pas partie de notre sport. C’est vraiment surprenant. »

Les confessions récentes du fondeur autrichien Johannes Duerr, suspendu pour dopage à l’EPO pendant les Jeux olympiques de Sotchi en 2014, ont mené au déclenchement de l’opération policière d’hier. À l’époque, Harvey avait raillé son rival, soulevant que le parcours du 50 km aurait été taillé sur mesure pour lui, comme les Russes dont on a su plus tard qu’ils étaient dopés.

Résigné, le champion mondial du 50 km se demande si les dernières arrestations conduiront « à de vraies suspensions ». Pour sa part, Kershaw n’a « aucune confiance » en la Fédération internationale de ski.

« Il y a eu des affaires comme ça dans le passé qui n’ont mené à rien, a acquiescé Harvey. Regarde les Russes l’hiver dernier. Ils courent encore aujourd’hui. J’ai hâte de voir la suite. »

En attendant, les gars ont fêté la « victoire » de Valjas hier soir. Sans faire sauter le bouchon de champagne, mais en dégustant des biscuits au chocolat cuisinés par leurs coéquipières…

— Avec l’Agence France-Presse

Sundby, enfin

Le pauvre animateur de la conférence de presse a demandé aux journalistes de ne pas importuner Martin Johnsrud Sundby avec des questions sur « l’affaire de dopage »… En s’imposant au 15 km classique des Mondiaux de Seefeld, le Norvégien de 34 ans, l’un des plus grands coureurs de sa génération, venait de signer la victoire la plus émotive de sa carrière. Sur la neige molle qu’il affectionne, Sundby a réalisé une fin de course du tonnerre pour décrocher son premier titre individuel dans un grand championnat. « J’étais en panique totale dans le dernier kilomètre, je ne savais pas ce qui se passait, je pensais que je me battais pour le bronze », a confié le gagnant, sur le bord des larmes en tombant dans les bras de son technicien. Il a retranché plus de 16 secondes dans les cinq derniers kilomètres pour devancer le Russe Alexander Bessmertnykh. Le Finlandais Iivo Niskanen, tenant du titre et l’un des deux grands favoris avec le Russe Bolshunov (8e ex æquo), a dû se contenter du bronze.

Valjas a sauté

Len Valjas s’est senti comme un champion du monde l’espace de quelques kilomètres en suivant les traces de Niskanen. Jusqu’à ce qu’il saute… « J’ai essayé de rester avec lui un peu trop longtemps… C’était le fun par contre. Tu ne peux pas me blâmer. Skier avec l’ancien champion mondial… Ça n’a jamais l’air si rapide jusqu’à la seconde où c’est trop. » Scott Hill a réussi la belle surprise du jour pour l’équipe canadienne en prenant le 34e rang à 3 minutes de Sundby.

Carte postale

Jamais sans mon Speedo

Innsbruck, Autriche — Je n’ai pas apporté mes skis, mais je regrette de ne pas avoir trimballé mon skateboard.

Fait chaud à Innsbruck (16 degrés Celsius hier après-midi) et pas une once de neige au sol. Les jeunes s’en donnent à cœur joie dans le skatepark, qui se fond parfaitement au décor austère devant l’ancien parlement du Tyrol.

Sur l’artère commerciale Maria-Theresien Strasse, une boutique sur deux semble en être une de plein air. On croise fréquemment des passants en bottes de ski, planches sur l’épaule, prêts à sauter dans un bus qui les mènera à l’une des nombreuses stations à proximité.

L’attrait des montagnes est puissant, on voit les sommets enneigés à 360 degrés à la ronde, juste au-dessus des immeubles à cinq étages.

Les vélos sont aussi très présents. Les supports de la gare centrale sont remplis. L’autre jour, j’ai vu revenir un couple sur son pignon fixe, elle sa planche à neige sous le bras, lui ses skis dans le dos. Le summum de la coolitude. On ne fait pas mieux dans le Mile End.

Je n’ai pas apporté mes skis, mais j’ai mon maillot de bain. Deux semaines loin du complexe Claude-Robillard, il faut bien garder un semblant de forme.

J’ai trouvé une piscine à 15 minutes de marche de mon hôtel, tout près de la Höttinger Höll, là où Michael Woods a fait souffrir les meilleurs grimpeurs de la planète aux Championnats du monde l’automne dernier.

Le bassin est en acier galvanisé, l’eau, fraîche à souhait. On jurerait qu’elle provient directement de la rivière Inn qui coule juste à côté. Je vous laisse, le coach vient d’envoyer un entraînement. Ce ne sera pas de la tarte.

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