Analyse

La fin d’un mariage de raison ?

L’alliance entre Bombardier et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) en 2015 était un mariage de raison. L’entreprise devait trouver urgemment des fonds pour sauver la C Series et la Caisse devait minimalement faire une offre pour les apparences politiques. Bien qu’elle ne soit pas un bras politique du gouvernement, sa mission est quand même partiellement de faire du rendement « tout en contribuant au développement économique du Québec ». En 2018, les deux parties semblent avoir des raisons différentes de fuir la relation.

Le PDG de Bombardier l’avouait récemment : l’option de racheter le placement de 30 % de la Caisse dans la division transport (BT Holdco) fait partie de la réflexion. Si on lit entre les lignes, on comprend que d’accepter l’entente avec la Caisse était un ultime recours pour Bombardier. C’était un dernier all-in dans la C Series.

Siemens et Bombardier

Si on se met dans la peau des gestionnaires de Siemens, on comprend pourquoi le rapprochement avec Bombardier a été écarté des plans potentiels. Quand 30 % de la division ferroviaire appartient à une caisse de retraite ayant signé une clause de rachat avantageuse, on trouve que la rémunération de cette dernière est possiblement élevée. En effet, selon les données divulguées sur la transaction, en cas de rachat du placement de la Caisse dans BT Holdco après trois ans, le bas de laine des Québécois s’assure d’un rendement annuel composé de 15 %. Certaines conditions de changement de contrôle donnent en plus à la Caisse un tel rendement garanti.

En somme, la Caisse de dépôt a tellement bien négocié sa position qu’elle s’assure d’un rendement minimal dans un placement risqué. Cela fait sourciller les partenaires éventuels, mais contrairement au gouvernement du Québec, elle a su gérer son risque.

La clause qui fait mal

Par contre, la clause de performance de BT Holdco vient aussi potentiellement réduire le rendement de la Caisse. On mentionnait au départ que « si Bombardier Transport surpasse la cible fixée dans son plan d’affaires, le pourcentage de la participation de la Caisse, à la conversion de ses actions, sera réduit de 2,5 % annuellement, jusqu’à concurrence d’un seuil minimum de 25 %. Dans de telles circonstances, le rendement minimum des actions convertibles sera également réduit, passant de 9,5 % à un seuil de 7,5 % ». Cela est moins intéressant pour la Caisse qui affichait un rendement annualisé global de 10,6 % sur cinq ans dans la dernière divulgation publique de ses résultats.

En somme, la Caisse de dépôt doit souhaiter un rachat ou une transaction, mais ne voit probablement pas qui pourrait aider Bombardier dans ce défi.

D’un angle comptable, les états financiers de Bombardier donnent le vertige. Au 30 septembre 2017, le bilan affichait un actif net négatif de 3,6 milliards US : Bombardier a plus de dettes que d’actifs. Les opérations généraient des flux monétaires négatifs de 208 millions US et le secteur des transports ferroviaires était celui qui rapportait le plus de bénéfices d’exploitation à l’entreprise. On dirait un gros paquebot rempli d’eau qui tente de se maintenir à flot. Pas surprenant que l’on veuille se concentrer sur les liquidités et la réduction de la dette tout en voulant remettre la main sur le secteur ferroviaire : celui donnant de la valeur à Bombardier inc. et ses actionnaires.

Une suite de la saga sur la rémunération

Avec la hausse importante de la valeur de l’action, on comprend que les patrons de Bombardier passeront à la caisse d’ici 2020. Du point de vue des apparences, le public voit la chose différemment. On a investi dans la C Series, on a pris le risque, on a soutenu les emplois, le secteur et tout le tralala. Au bout du compte, on a donné le résultat de la C Series et le contrôle à Airbus contre… rien. Et qui gagne au change ? L’actionnaire de Bombardier voyant son placement passer de moins de 80 cents à la fin de janvier 2016 à près de 3 $ l’action au 2 janvier 2018. On récompense fortement ceux qui auraient dû manger leurs bas. On récompense les dirigeants d’avoir échoué aussi. La valeur de l’action fait partie de leur rémunération incitative. C’est cynique, mais c’est la résultante. Tout ça sur un fond de menace de protectionnisme américain et de regroupement entre Embraer et Boeing.

Personne ne dira officiellement à la Caisse de dépôt que l’on souhaiterait sortir du placement dans BT Holdco, mais si on pouvait en tirer rapidement un rendement annualisé de 15 %, on aurait un sourire en coin. Reste à savoir si un investisseur voudra faire une telle faveur au bas de laine des Québécois.

La question n’est pas de savoir si les deux « conjoints » veulent possiblement se sortir de la relation. Elle est plutôt de savoir comment Bombardier trouvera les liquidités ou un partenaire pour racheter l’autre. C’est comme un mariage de raison, il arrive que des réalités financières fassent durer une union, alors que la flamme est éteinte depuis quelque temps.

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