Chronique

Handicapés par la vie, amputés par la RRQ

La vie est parfois injuste. À l’âge de 4 ans, Marcel Gauvreau a été privé de l’usage de ses jambes à cause de la polio.

Fauteuil roulant. Orthèses. Traitements constants. Rien de tout cela ne l’a empêché de mener une brillante carrière d’avocat durant près de 30 ans. Mais à 56 ans, M. Gauvreau a dû renoncer au travail qu’il aimait tant, après avoir reçu un diagnostic de postpolio, un syndrome de fatigue extrême qui l’empêchait complètement de travailler.

Pendant huit ans, la Régie des rentes du Québec (RRQ) lui a versé une rente d’invalidité, comme à 65 000 Québécois qui touchent environ 790 millions de dollars de rente annuellement. Ces prestations représentent environ 6 % des versements de la RRQ.

À l’âge de 65 ans, M. Gauvreau a cessé de recevoir sa rente d’invalidité, pour plutôt toucher sa rente de retraite de la RRQ. C’est la règle.

Et sa rente de retraite a été amputée de 30 %, exactement la même pénalité que celle imposée aux autres travailleurs qui demandent leur rente avant l’âge normal de la retraite de 65 ans. D’ailleurs, cette pénalité grimpera bientôt à 36 % pour mieux refléter les coûts de la préretraite.

Sauf que M. Gauvreau n’était pas à la préretraite. Il n’a jamais choisi d’être invalide entre 60 et 65 ans. Malgré tout, il est pénalisé comme les autres. Plus précisément, sa rente est réduite d’environ 300 $ par mois, soit 3600 $ par année. Pour le restant de ses jours.

Injuste, plaide-t-il.

« On nous met tous sur le même pied : c’est là que je débarque ! s’exclame M. Gauvreau. Si j’avais pu décider, j’aurais continué de travailler. J’aimais beaucoup ça. Il y a une iniquité dans la loi. C’est injuste socialement. »

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Cela fait cinq bonnes années que les associations de personnes handicapées réclament des changements. Elles attendaient donc avec impatience les consultations sur la révision de la RRQ qui se sont déroulées à la mi-janvier.

Déception !

L’exercice a été lancé à la sauvette, juste avant Noël. Les groupes n’ont eu qu’un mois pour concocter leur mémoire, en incluant la période des Fêtes.

Par exemple, l’Office des personnes handicapées du Québec, qui estime que Québec devrait cesser d’amputer la rente des personnes invalides, déplore de ne pas avoir eu le temps de réaliser une étude approfondie de tous les enjeux.

Pis, comme les consultations étaient « sur invitation seulement », plusieurs groupes n’ont carrément pas pu faire valoir leur point de vue.

C’est le cas de Moelle épinière et motricité Québec (MEMO-Qc), qui avait déjà envoyé au gouvernement un avis étoffé sur la problématique de la rente d’invalidité.

Finalement, MEMO-Qc a réussi à dégoter deux petites minutes, top chrono, pour présenter ses revendications.

Le cabinet du ministre des Finances soutient que le processus n’en est qu’à ses débuts et que le débat se poursuivra au cours des prochains mois. Mais on dirait bien que le gouvernement n’avait pas envie de rouvrir le débat sur la rente d’invalidité, un sujet qui ne figurait nulle part dans les documents préparatoires de la consultation.

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Le gouvernement dira que le sujet a déjà fait l’objet d’une consultation en 1997. À cette époque, la RRQ était en difficulté. Sans un sérieux redressement de barre, la réserve aurait été vide au début des années 2000.

On a alors choisi de hausser le taux de cotisation de 6 % en 1997 à 9,9 % en 2003 (aujourd’hui 10,8 %).

Dans ce contexte, Québec a aussi décidé d’amputer la rente de retraite des personnes invalides. Les autres provinces n’ont pas suivi. Toutefois, elles ont réduit l’indexation de la rente d’invalidité, ce qui gruge à petit feu les revenus des personnes invalides, surtout celles qui le sont depuis un très jeune âge.

N’empêche, les personnes handicapées se considèrent comme injustement traitées. Par rapport aux invalides du reste du Canada. Et par rapport aux Québécois en bonne santé.

Alors que les handicapés vivent 10 ans de moins que le reste de la population, il est plutôt ironique de les priver du tiers de leur rente de retraite pour remettre à flot la RRQ qui tanguait à cause de l’augmentation de l’espérance de vie des Québécois.

Par-dessus le marché, la pénalité appliquée à la rente des handicapés ne représente pas des sommes pharaoniques. La supprimer coûterait environ 20 millions par année, selon MEMO-Qc, quoique Retraite Québec avance que le chiffre pourrait dépasser 100 millions.

Mais pendant ce temps, les gouvernements s’évertuent à ajouter des crédits, des déductions et d’autres bonbons fiscaux pour les personnes handicapées. Or, cette aide est souvent compliquée à obtenir pour les contribuables plus vulnérables qui ne sont pas des pros de la déclaration de revenus.

Ne serait-il pas plus simple de commencer par verser une rente pleine et entière aux personnes invalides ?

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