Zoom retro

Une incursion épisodique dans les 130 ans d’archives de La Presse

LES FRISSONS
DU DOMINION

Une simple évocation fait palpiter le cœur et briller les yeux : les manèges ! Abaissez la barre de sécurité et gardez bien les mains à l’intérieur du véhicule, notre machine à remonter le temps vous catapulte aujourd’hui bien
au-delà de La Ronde ou du parc Belmont. Bienvenue au nec plus ultra du divertissement montréalais des années 10
à 30 : le parc Dominion.

Bien peu d’entre nous s’en souviennent. Normal : il a disparu il y a 77 ans. Mais pourtant, en son temps, le parc Dominion était le rendez-vous estival branché de toute la ville.

Inauguré en 1906 rue Notre-
Dame Est, à l’est de la rue Viau, le parc appartient à la compagnie de transport Suburban Tramway & Power, qui exploite le tramway vers l’est de l’île. « Tous les chars allant à l’est conduisent au parc », claironne d’ailleurs le promoteur dans ses publicités. Dans le New York Times, on décrit le parc comme étant le « Coney Island de Montréal », du nom du célèbre parc d’attractions de la Grosse Pomme.

À l’époque, cette portion de la rue Notre-Dame se trouvait directement au bord du fleuve – le remblayage du secteur pour faire place au port de Montréal dans les années 70 a repoussé le rivage un peu plus loin. Aujourd’hui, à l’angle des rues Notre-Dame et Haig, se trouve notamment l’usine des Aliments Ronzoni (pâtes Catelli).

L’entrée coûtait 10 ¢ pour les adultes (environ 2 $ en dollars de 2014) et 5 ¢ pour les enfants. Le parc comptait plusieurs pavillons thématiques et manèges, dont le « Shoot-the-Chutes », une balade à bord d’une chaloupe qui dévalait une chute de plusieurs mètres jusqu’à un bassin (un ancêtre de la « Pitoune », quoi !).

D’autres attractions présentaient des spectacles d’un goût assez douteux. Le Titanic venait à peine de couler en 1912 qu’un pavillon entier était déjà consacré à la catastrophe. Un autre pavillon présentait une reconstitution en miniature de l’inondation de Johnstown, en Pennsylvanie, en 1889 (plus de 2200 victimes). Et un autre présentait « l’incubateur de bébés » où il était possible de voir de vrais bébés soignés par des infirmières… Charmant.

L’INCENDIE DE 1919

Mais tout n’est pas qu’émerveillement au parc Dominion.

En ce dimanche 10 août 1919, « des milliers de personnes » se trouvaient au parc Dominion quand un incendie s’est déclaré, raconte La Presse dans son numéro du 11 août. Dans le « Mystic Rill », les passagers montaient sur un petit bateau qui suivait un cours d’eau à l’intérieur d’un pavillon. Les flammes,
peut-être allumées par un mégot de cigarette, ont rapidement embrasé la structure de bois du bâtiment, avant de se propager au « Scenic Railway » (les montagnes russes). Les témoins ont raconté avoir entendu les « appels déchirants » des victimes restées prisonnières à l’intérieur du manège.

Sept personnes, plus une huitième découverte quelques jours plus tard dans les décombres, y ont perdu la vie. Parmi elles, un couple de jeunes mariés et au moins trois enfants.

Malgré la tragédie, la popularité du Dominion ne faiblit pas immédiatement, mais deux autres événements viendront plus tard sceller son destin. En 1923, dans le nord de l’île, un nouveau parc encore plus moderne est inauguré : le parc Belmont. Et bientôt, la crise de 1929 et ses échos plomberont la gestion du Dominion. Délabré, vétuste et désormais dangereux, le parc ferme définitivement ses portes en 1937.

Et ironiquement, sur les lieux de l’incendie de 1919, se trouve aujourd’hui… le Centre de formation des pompiers de Montréal.

— Avec la collaboration d’Yves Dugas
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