COMMANDITÉ
Dre Suzanne King, chercheuse en santé mentale

Suzanne et les bébés du verglas

Quand les branches crissaient sous la glace, en pleine crise du verglas de 1998, Dre Suzanne King, résidente de Verdun, cherchait comme tout le monde une place au chaud où mettre sa famille à l’abri.

Mais plutôt que de se vautrer en Snuggie devant les conférences de presse d’Hydro-Québec en mangeant de la fondue, cette spécialiste des causes psychosociales de la maladie mentale, affiliée au Centre de recherche de l’Hôpital Douglas, s’est demandé comment les femmes enceintes allaient gérer ce stress — et comment leurs enfants allaient s’en tirer.

Près de 20 ans plus tard, Dre King continue de se poser la question, et les réponses qu’elle trouve par l’entremise du Projet Verglas sont fascinantes.

Qu’est-ce qui vous a donné cette idée, d’étudier les effets du stress des mères sur leurs enfants à naître ?

J’étudiais le développement de certaines maladies mentales, et il y avait déjà des travaux qui montraient que certains événements vécus pendant la grossesse — comme une famine ou l’invasion de la Pologne (en 1939) — augmentaient le risque de problèmes de santé mentale chez les enfants à naître. Alors j’interrogeais les mères de patients adultes pour savoir si quelque chose de spécial était arrivé pendant leur grossesse. Mais poser cette question 45 ans plus tard à une femme qui a peut-être été enceinte cinq fois, ce n’est pas l’idéal.

Pendant la crise du verglas, après sept jours sans électricité, je me suis rendu compte que j’étais stressée. Je me suis dit que les femmes enceintes devaient l’être aussi, et que je pourrais étudier les effets de ce stress dès la naissance de leurs enfants.

Comment avez-vous trouvé des femmes enceintes pendant cette période ?

Une fois la crise terminée, j’ai contacté des médecins qui avaient procédé à des accouchements après le verglas dans les quatre principaux hôpitaux de la Montérégie. Ils ont envoyé un premier questionnaire aux mères, et 224 d’entre elles l’ont rempli. Dix-neuf ans plus tard, nous suivons encore une centaine de ces bébés, que nous interrogeons et évaluons environ aux 18 mois.

Et comment vont-ils, les enfants du verglas ?

D’abord, il faut savoir que les mères qui ont répondu à notre questionnaire sont plus éduquées que la moyenne — parce qu’elles sont plus enclines à vouloir participer à une recherche universitaire. Les enfants avaient donc moins de facteurs de risque.

Et en général, ils vont bien. Mais plus la mère a manqué d’électricité longtemps, plus ils sont affectés.

De quelle manière sont-ils touchés ?

Nous avons constaté des effets sur le quotient intellectuel et le développement du langage, entre autres. Mais le problème que l’on observe le plus, c’est l’obésité. Plus la mère a été privée d’électricité longtemps (ou a dû changer de maison souvent), plus les enfants avaient un indice de masse corporel [IMC, un outil qui établit un ratio entre le poids et la taille] élevé à l’âge de 5 ans et demi. Puis, en vieillissant, leur IMC croît de plus en plus. Je pensais que l’effet du stress durant la grossesse se résorberait vers 5 ou 6 ans, mais au contraire, ça s’accentue à l’adolescence.

Quelle est l’importance de ces résultats ?

C’est une première mondiale ! Pour la première fois, on arrive à évaluer sur des humains le même stress vécu par plusieurs mères — la tempête était la même pour tout le monde – et en comparer les effets sur les enfants. Ce sont des circonstances très rares.

L’été dernier, j’ai commencé le même genre d’études avec les mères enceintes pendant l’incendie de Fort McMurray, et ça devrait nous offrir le même type de circonstances, où tout le monde est affecté de la même manière.

En ce moment, je participe à une conférence, et quand les gens voient mon nom, ils viennent me voir pour me parler de l’importance de cette étude sur leur travail. Le Projet Verglas est célèbre partout dans le monde : tu devrais le mettre dans ton article !

TEXTE valérie duhaime

photo magali cancel

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