La Presse en Géorgie

Visite d’une usine à fausses nouvelles

Mensonges, demi-vérités, propagande : les « fake news » abondent depuis la dernière campagne électorale aux États-Unis. La Presse est allée visiter les locaux de Liberty Alliance, véritable usine à « fausses nouvelles ».

Dallas, — Géorgie — « Hillary Clinton, reine de la corruption et du crime », « Hillary Clinton serait une bisexuelle obsédée par le sexe », « Hillary Clinton reconnue comme une “menace intérieure” par l’armée américaine », « Les liens d’Obama avec le djihad ».

Les titres de Liberty Alliance, réseau d’une centaine de sites web hyper conservateurs, se suivent et se ressemblent. Tous plus trompeurs et racoleurs les uns que les autres, ces titres sont souvent des pièges à clics conçus pour être facilement relayés sur les réseaux sociaux. Et relayés, ils le sont.

« En novembre dernier, nous avons eu 170 millions de pages vues », précise le PDG de Liberty Alliance, Brandon Vallorani. Ce serait 20 fois plus que le site d’information MSNBC.

Mais contrairement au géant MSNBC, Liberty Alliance a plus l’air d’une entreprise familiale que d’un conglomérat de presse. Son siège social se situe dans une villa perdue au fin fond de la campagne de Géorgie, à une heure de route d’Atlanta.

Dans le stationnement, une camionnette peinte en rouge et recouverte du slogan « Donald Trump à la présidence » donne le ton. Liberty Alliance fait davantage dans la propagande pro-Trump que dans l’analyse fine.

De fausses nouvelles qui rapportent

Dans le sous-sol de la villa, une dizaine d’employés s’affairent à vendre de la pub et à gérer les sites qui portent des noms comme Ipatriot.com, Freedomdaily.com ou Minutemen.com. En 2016, le réseau a généré des revenus de plus de 10 millions de dollars.

En tout, le réseau emploie sept « auteurs » et travaille avec quelques pigistes. Tous sont des militants ultraconservateurs. Comme ils ne s’embarrassent pas des faits, chacun peut produire jusqu’à une dizaine d’articles par jour.

Le site BuzzFeed, qui a analysé des douzaines d’articles publiés sur les pages Facebook de Freedom Daily et d’Eagle Rising (deux sites du réseau Liberty Alliance), a conclu que ces derniers étaient soit faux, soit trompeurs dans 46,4 % et 29,5 % des cas respectivement.

Le rédacteur en chef de Liberty Alliance, Onan Coca, refuse toutefois l’étiquette de « fake news ». Il prétend plutôt produire des nouvelles avec un angle conservateur.

« Ce que vous appelez de la désinformation, c’est juste mon opinion. Mon opinion ne peut pas être fausse, c’est juste mon opinion. »

— Onan Coca, rédacteur en chef de Liberty Alliance

Mis devant un exemple de fausseté qui apparaît de manière récurrente sur les sites du groupe – l’allégation voulant qu’Obama soit musulman –, Onan Coca est un brin gêné, mais il n’en démord pas.

« Quand quelqu’un écrit qu’Obama est musulman, ce n’est pas un mensonge ; cette personne ne croit simplement pas le président quand il dit qu’il est chrétien », poursuit-il.

Chacun dans sa bulle

Quant aux critiques, le rédacteur en chef ne s’en soucie guère. « Nos lecteurs viennent sur nos sites parce qu’ils ne veulent rien savoir des médias traditionnels. Les médias grand public peuvent nous traiter de “fake news” autant qu’ils le veulent, nos lecteurs s’en foutent », soutient-il.

Sur ce point, Onan Coca a sans doute raison. Toute une frange de la population américaine semble désormais imperméable aux faits. Charlie Sykes, animateur de radio conservateur modéré du Wisconsin, en sait quelque chose.

« Pendant la campagne, les gens m’envoyaient des courriels avec des histoires invraisemblables, et je leur disais : “Non, ce n’est pas vrai”, ou alors : “Donald Trump ment à ce sujet.” Et je leur donnais des preuves », raconte-t-il.

« Je leur disais que le New York Times ou le Washington Post avait vérifié ça. Et la réponse que j’obtenais ? On ne les croit pas : ce sont des médias de gauche. »

— Charlie Sykes, animateur de radio conservateur

Selon lui, bien des républicains vivent désormais dans une sorte de bulle déconnectée de la réalité. « Et il n’y a pas moyen de la percer, cette bulle. Les gens ne croient plus aux informations qui viennent de l’extérieur de leur bulle », soutient-il.

Dégoûté par le ton acrimonieux des dernières élections, il a décidé d’éteindre son micro après 23 ans de carrière. Il compte désormais écrire un nouveau livre. Son titre ? Comment la droite a perdu la tête.

« Cela va être facile à écrire. C’est ce que j’ai vécu tous les jours l’année dernière », conclut-il.

Facebook au banc des accusés

« Des fausses nouvelles et des informations trompeuses, il y en a toujours eu. Mais c’est la première fois que l’on a un outil comme Facebook pour les amplifier », explique Michael Nuñez, journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies du site Gizmodo. « Durant la dernière campagne, certaines infos bidon ont été partagées plus de 500 000 fois, ajoute-t-il. Et si on prend en compte les milliers d’articles douteux qui ont été publiés sur Facebook, on voit à quel point la désinformation peut se répandre sur le web. » Au cours des trois derniers mois de la campagne présidentielle, les utilisateurs de Facebook auraient d’ailleurs davantage interagi au sujet de fausses nouvelles (comme celle voulant que le pape ait soutenu Trump) qu’avec des informations provenant de médias crédibles, selon une analyse de BuzzFeed. Michael Nuñez, qui a abondamment enquêté sur le sujet, croit que Facebook aurait pu en faire bien plus pour empêcher la prolifération des nouvelles trompeuses ou fausses. « Google, Facebook et d’autres ont très bien réussi à limiter les pourriels, à les éliminer de nos fils d’information. Les fausses nouvelles pourraient être éliminées de la même manière », estime le journaliste.

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