migrantes à statut précAIre

Enceintes et abandonnées

Au moment où Montréal vient d’adopter une motion pour se déclarer ville refuge, la seule clinique qui s’adresse aux migrants à statut précaire – qui n’ont pas la carte d’assurance maladie – est en péril, faute de financement de l’État.

Dans l’immédiat, ce sont des femmes enceintes qui paieront la note : à Médecins du monde (MDM), qui gère cette clinique, on est contraint de supprimer les postes de l’infirmière et de la travailleuse sociale qui ont assuré le suivi régulier, depuis un an, de 45 femmes enceintes.

Kemgang Domche, 28 ans, est l’une de ces femmes. Elle est arrivée ici il y a trois ans et s’est mariée avec un citoyen canadien. Depuis deux ans, elle attend sa résidence permanente, qui lui donnera droit à la carte-soleil. Et elle est enceinte de 33 semaines. « On avait espoir que notre dossier allait aboutir avant l’accouchement. Mais on n’a pratiquement pas de nouvelles. La pression commence à monter. »

« Il y a beaucoup de compassion pour les migrants dans les îles grecques. La photo du petit garçon mort a ému tout le monde. Mais les migrants ici, c’est non. »

— Nadja Pollaert, directrice générale de Médecins du monde

« On ne dit pas que la totalité du budget de la clinique doit être pris en charge par le gouvernement. Mais il devrait y avoir, à tout le moins, une contribution », affirme Nadja Pollaert, directrice générale de MDM. 

Médecins du monde fait des démarches depuis plus d’un an pour que Québec contribue au financement de sa clinique. Celle-ci s’adresse aux migrants à statut précaire qui n’ont pas de carte-soleil. Elle a ouvert en 2011. Elle emploie huit personnes et a soigné 10 000 migrants.

Sur un budget de 350 000 $, le gouvernement du Québec ne verse pour l’instant aucun financement à MDM. « On se repose uniquement sur la collecte de fonds, les dons individuels. C’est grâce à cela qu’elle survit, la clinique », dit Mme Pollaert.

La Direction régionale de la santé publique de Montréal y accorde également 50 000 $.

Pas de rencontre avec la ministre

MDM a tenu une quinzaine de rencontres avec des responsables de la Ville de Montréal, de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), du ministère de l’Immigration, mais malgré des demandes répétées, il lui a été impossible de rencontrer la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois.

Le maire de Montréal, Denis Coderre, a même écrit à Mme Charlebois en septembre dernier pour qu’elle rencontre « cet acteur essentiel de la santé publique », écrivait-il. « Un financement récurrent et accru est souhaitable », ajoutait M. Coderre.

En entrevue hier, le maire a réitéré ce plaidoyer. « Ils ont un allié en moi, dit-il. Leur travail est très important. » Le statut de ville refuge, ajoute le maire, implique qu’on fournit ce genre de services aux personnes dont le statut est précaire. « Je comprends tout cela, et on fait des pressions. »

Au bureau de Mme Charlebois, on indique qu’elle n’a pas intention de rencontrer MDM sur cet enjeu. 

« La ministre est très sensible à la question, mais les programmes sont gérés par le centre de santé local. »

— Bianca Boutin, attachée de presse de la ministre Lucie Charlebois

« Le financement de la santé, c’est provincial. L’argent doit venir de Québec. Mais c’est très long. Pendant ce temps, on a des gens en panique ici. On a des gens qui ne sont pas soignés », souligne Nadja Pollaert.

« Pour nous, il n’est pas minuit moins une, on est passé minuit. Il y a déjà eu des coupes de service », explique Véronique Houle, directrice des opérations nationales pour MDM.

Des cas complexes

L’infirmière Nadia Perreault est l’une de celles qui partent cette semaine. Elle assurait les suivis de grossesse depuis un an. « On prenait les femmes les plus précaires. Beaucoup de grossesses à risque, des situations d’extrême pauvreté. Certaines des femmes qu’on a suivies ne survivaient que grâce aux banques alimentaires », dit-elle.

Le personnel qui assurait le suivi complet de femmes enceintes « se retrouvait avec des pré-éclampsies, des diabètes de grossesse, des jumeaux à 42 ans, des cas complexes qui devraient être en suivi intensif dans les hôpitaux », souligne Véronique Houle.

Et qu’arrivera-t-il à ces femmes ? « Elles vont rester à la maison en espérant le mieux. Certaines arrivaient ici à 36 semaines et elles n’avaient jamais vu un docteur » dit Mme Perreault.

« Il va y avoir des impacts sur leur grossesse, c’est certain », dit la Dre Maria Munoz Bertrand, l’une des 130 médecins bénévoles qui œuvrent pour Médecins du monde. Le suivi assuré par MDM permettait aux femmes d’accoucher avec un dossier médical en main. 

« Une femme qui arrive en travail et qui n’a eu aucun suivi, ça rend tout le monde nerveux à l’hôpital. Ce n’est vraiment pas l’idéal pour personne. »

— La Dre Maria Munoz Bertrand, médecin bénévole pour Médecins du monde

Et le pire, c’est que les enfants nés de ces mères migrantes seront parfois également privés de carte-soleil, même s’ils sont nés au Canada. La RAMQ exige en effet que les parents migrants prouvent leur volonté de s’établir au Québec pour que leurs enfants soient admissibles.

Médecins du monde a obtenu des avis juridiques qui montrent que la Régie de l’assurance maladie contrevient ainsi aux chartes des droits et libertés et cause « un préjudice grave » à ces enfants. La RAMQ n’en démord pas. « Nos règles sont claires. Pour être couvert, il faut prouver la volonté de s’établir », dit Caroline Dupont, porte-parole de la RAMQ.

Migrants à statut précaire

Un accouchement à 10 000 $

Kemgang Domche est tombée enceinte une première fois alors que le parrainage de son mari commençait. Comme la plupart des femmes enceintes migrantes sans statut, elle a dû débourser 10 000 $ pour accoucher à l’hôpital. « J’ai accouché le vendredi et je suis sortie le samedi pour ne pas faire grimper la facture. » Il lui reste encore 6000 $ à verser pour rembourser ses frais. Elle est retombée enceinte 20 mois plus tard et souffre maintenant de diabète de grossesse. « Il est certain qu’elle va être résidante permanente dans quelques mois. Ses enfants sont citoyens canadiens. Et on les met en danger durant la grossesse pour une raison qui me semble incompréhensible, cruelle et inhumaine », témoigne Michel Welt, le gynécologue qui la suit pour Médecins du monde.

Migrants à statut précaire

Migrant à statut précaire = migrant illégal ?

Un migrant à statut précaire ne se trouve généralement pas dans l’illégalité au Canada. Les deux tiers d’entre eux ont un statut officiel, mais il ne leur donne pas droit à la carte-soleil. Les étudiants étrangers, les travailleurs saisonniers, les immigrants dont le parrainage se termine sont notamment dans ce cas. Tous les cas de demandeur sont également soumis à un délai de carence de trois mois, période au cours de laquelle ils ne sont pas couverts. Environ le tiers des migrants vus par MDM n’ont pas de statut. Parmi eux, une faible proportion s’est vu refuser l’asile au Canada.

Migrants à statut précaire

Qui sont-ils ?

Il y aurait 50 000 migrants à statut précaire à Montréal. Une première étude, à laquelle participe la médecin Maria Munoz Bertrand, vise à dresser un portrait de ces migrants, sur lesquels on a très peu de chiffres. Les données préliminaires de l’étude, qui a sondé près de 500 personnes, montrent que les migrants vivent un peu partout au Québec, que la moitié d’entre eux sont en couple, que le tiers ont des enfants et que les deux tiers d’entre eux vivent avec un revenu familial mensuel inférieur à 1500 $. « Ils peuvent travailler pour beaucoup moins que le salaire minimum », dit la Dre Munoz Bertrand.

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