Analyse

Kevin O’Leary, « le faiseur de rois »

Un simple texto envoyé lundi par l’homme d’affaires Kevin O’Leary a modifié considérablement la donne dans la course à la direction du Parti conservateur, cinq semaines avant la fin de ce marathon politique.

« Maxime, es-tu à Toronto aujourd’hui ? Il faut que l’on se parle », a écrit M. O’Leary dans son message à Maxime Bernier, son principal rival dans cette campagne qui permettra de trouver un successeur à Stephen Harper.

Après quelques échanges, les deux hommes, qui avaient plusieurs rencontres liées à leur campagne respective dans la Ville Reine avant le dernier débat de la course, qui a eu lieu en soirée hier, ont convenu de se rencontrer mardi soir dans l’appartement de M. O’Leary.

Selon des informations obtenues par La Presse, M. O’Leary est allé droit au but durant la rencontre qui a commencé à 23 h pile. Après avoir été mis au parfum par ses propres organisateurs de ses faibles appuis au Québec parmi les membres qui s’apprêtaient à voter, il comptait abandonner la course et donner son appui au député de Beauce. Malgré un accrochage durant la course sur la vente frauduleuse de cartes de membre – une allégation lancée par Kevin O’Leary qui lui a valu une virulente riposte de Maxime Bernier –, les deux hommes avaient maintenu les canaux de communication ouverts.

Durant la rencontre de mardi soir, ils se sont donc entendus sur les principales modalités de cet appui, les responsabilités des équipes des deux campagnes pour assurer la victoire de Maxime Bernier le 27 mai. Ensuite, ils ont ouvert une bouteille de vin pour sceller cette nouvelle alliance. La rencontre s’est terminée vers 2 h du matin.

« Kevin O’Leary est un homme d’affaires intelligent. Il ne voulait pas se coller une réputation de perdant en ne gagnant pas la course. Il était loin d’être assuré de remporter son pari. Aujourd’hui, il se présente comme le “kingmaker”. Il sort donc gagnant de l’exercice », a-t-on affirmé dans le camp de Maxime Bernier.

En confirmant sa décision, hier, en conférence de presse à Toronto en compagnie de M. Bernier, M. O’Leary a reconnu que l’absence d’appuis suffisants au Québec a été un facteur déterminant.

« Je n’avais que 12 % de l’appui des membres au Québec. Je ne peux pas gagner au Québec. Le Québec est la Floride du Canada. La province détermine qui gouverne ce pays la plupart du temps. Je n’avais pas de chemin vers la victoire au Québec en 2019 contre Justin Trudeau. »

— Kevin O’Leary

M. O’Leary a promis de tout mettre en œuvre pour assurer la victoire de Maxime Bernier le 27 mai… et en octobre 2019, date des prochaines élections.

« Au Québec, les chiffres pour moi sont très bons parmi les membres du parti. Et la compétition que j’avais à l’extérieur du Québec, c’était par rapport à Kevin. Et là, on va unir nos forces », a soutenu M. Bernier durant le même point de presse.

Au cours des prochains jours, MM. Bernier et O’Leary tourneront une série de vidéos ensemble pour bien faire comprendre aux quelque 259 000 membres en règle qui peuvent voter que M. Bernier est le meilleur choix. À elle seule, l’organisation de Kevin O’Leary a recruté 35 000 nouveaux membres.

En outre, les équipes des deux campagnes travailleront main dans la main au cours des deux prochaines semaines pour « faire sortir le vote » en faveur du député de Beauce. « Il y a une synergie totale entre les deux équipes », a-t-on indiqué.

Pour plusieurs observateurs, ce coup de dé de M. O’Leary – qui a eu l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel du Parti conservateur hier – fait de Maxime Bernier le meneur incontestable de cette course.

« Cette course est maintenant une bataille entre Maxime Bernier et Andrew Scheer », a affirmé un stratège de M. Scheer, l’ancien président des Communes qui a obtenu l’appui de quatre des 12 députés conservateurs du Québec. « Rien n’est encore joué. Les appuis qu’aurait eus Kevin O’Leary ne sont pas monolithiques. Ces appuis vont se répartir entre les autres candidats aussi », a ajouté ce stratège.

Seul autre député du Québec dans la course, Steven Blaney a affirmé que le désistement de M. O’Leary a pour effet de lancer « une nouvelle course ». Un autre candidat, le député ontarien Erin O’Toole, qui a obtenu l’appui du député conservateur Gérald Deltell, figure montante du parti au Québec, aura droit à un autre appui du Québec aujourd’hui, selon nos informations : le député de Portneuf – Jacques-Cartier, Joël Godin.

Mais il faut dire que Kevin O’Leary, un homme fort en gueule mais qui ne parle pas français, n’est pas la première pointure importante à se désister au profit de Maxime Bernier au cours des derniers mois. Le 1er décembre, l’ancien ministre de l’Industrie dans le gouvernement de Stephen Harper, Tony Clement, qui était candidat dans la course, a aussi jeté l’éponge pour l’appuyer.

En septembre 2013, Maxime Bernier, adepte du jogging depuis quelques années, a décidé de souligner son 50e anniversaire de naissance en traversant sa circonscription de Beauce à la course. Le défi était de taille : parcourir les 106 km qui séparent les municipalités de Saint-Ludger, au sud, et Saint-Bernard, au nord, en quelque 12 heures.

« Je serai le premier député depuis la Confédération qui va traverser tout son comté à la course en moins de 12 heures », avait lancé à La Presse le député de Beauce un mois avant sa fameuse course – l’équivalent de deux marathons et demi en une journée.

Le jour J, Maxime Bernier a terminé cette longue course comme prévu, exténué à l’extrême, après des mois d’entraînements rigoureux et en s’imposant une discipline de fer. Au passage, il a recueilli des dons – environ 160 000 $ –, une somme qu’il a remise à un organisme de charité de sa circonscription, la Fondation Moisson-Beauce.

M. Bernier s’est imposé la même discipline depuis le début de la course à la direction. La décision de M. O’Leary de se rallier à sa campagne pourrait lui donner le carburant nécessaire pour remporter le deuxième grand marathon de sa vie.

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