Dépendances

François, 54 ans

Gisèle* a commencé à boire « sur le tard », vers la mi-quarantaine. Au départ, elle buvait socialement, entre amis. « On était dans les années 80. Il fallait découvrir les cépages, les régions », raconte son conjoint, François*.

Dans la famille de François, personne n’avait jamais eu de problème avec l’alcool. Alors pour lui, l’alcoolisme se résumait à l’image d’un homme couché sur un banc de parc, une bouteille vide à la main. Ces soirées bien arrosées ne l’inquiétaient donc pas outre mesure. « On avait du fun et c’était correct d’en avoir : on travaillait fort et on fêtait fort. »

Mais tranquillement, dit-il, les choses ont commencé à évoluer.

Gisèle travaillait de la maison. Quand François l’appelait du bureau, les jours de semaine, elle lui demandait presque systématiquement de rapporter une bouteille de la SAQ, prétextant qu’elle venait de goûter au reste de la veille et qu’elle l’avait jeté parce qu’il n’était plus bon.

« Il fallait vraiment être dans le déni pour réussir à accepter jour après jour que la bouteille d’hier soir n’était pas bonne », dit François. Au fond de lui, François savait bien que le reste de la veille, Gisèle l’avait bu pendant la journée.

François s’est dit qu’il allait « prendre le problème en charge » : il s’est mis à calculer, mesurer, contrôler. À boire plus vite pour que Gisèle en ait moins. À marquer le niveau de la bouteille avant de la remettre au frigo. « Ce que je ne savais pas, c’est qu’elle avait caché une autre bouteille quelque part dans l’armoire. »

Au bout de quatre années, Gisèle et François en étaient arrivés à vivre de façon parallèle. François avait perdu le goût de prendre un verre. Quand il revenait, le soir, Gisèle était déjà un peu engourdie par l’alcool. Et elle continuait à boire jusqu’à ce qu’elle aille se coucher, absente.

« Je n’ai jamais été en colère contre ma blonde ; c’était de la tristesse. J’avais perdu quelqu’un. »

— François

Un jour, au retour d’un brunch familial au cours duquel elle avait trop bu, Gisèle a proposé à François d’arrêter prendre une bouteille à la SAQ pour le souper. Et, pour la première fois, François l’a affrontée de façon affirmative.

Gisèle lui a donné raison. Oui, elle avait un problème. Elle a pris le téléphone et a appelé tous ses proches pour leur dire qu’elle était alcoolique, comme si elle pouvait enfin se libérer de ce secret devenu trop lourd à porter.

Cinq ans se sont écoulés depuis ce jour. Gisèle n’a jamais consommé d’alcool depuis.

* Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat des protagonistes. 

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