Opinion  Pensionnats autochtones

Des excuses loin d’être symboliques

En 2012, alors que l’Église catholique canonisait Kateri Tekahkwitha, parmi la foule d’autochtones présents à Rome se trouvait Wab Kinew, ojibway, alors chroniqueur. Il contemplait le spectacle avec étonnement : « Le fait que d’innombrables survivants des pensionnats se trouvent à Rome cette semaine constitue un miracle […] : celui que des personnes aussi mal traitées par l’Église quand elles étaient enfants aient pu, une fois devenues adultes, non seulement lui pardonner, mais y adhérer. »

Il y a presque un an, au sanctuaire du Cap-de-la-Madeleine, une rencontre entre autochtones et allochtones réunissait quelques centaines de personnes, portées par l’annonce d’une ouverture du pape à présenter les excuses demandées par la Commission de vérité et réconciliation (CVR) en 2015. On se prenait à croire qu’on y arrivait peut-être enfin. L’espoir des personnes autochtones présentes était palpable.

Mais l’espoir vient de s’éteindre. Il n’y aura pas d’excuses du pape aux autochtones et aux survivants des pensionnats catholiques. Une explication en est donnée le 27 mars, dans une lettre aux autochtones signée par Mgr Lionel Gendron, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) : le pape François est « d’avis qu’il ne peut pas y répondre personnellement ». Le laconisme et l’opacité de cette explication jurent avec l’ouverture des 6750 personnes autochtones qui ont raconté leur expérience des pensionnats à la CVR, entre 2010 et 2015.

Veut-on dire que le pape ne pense pas pouvoir présenter des excuses personnelles ? Mais le rapport final de la CVR distinguait explicitement les excuses officielles et les excuses personnelles – les secondes n’ayant évidemment rien à voir avec la demande.

On demandait au pape de s’excuser au nom de l’Église catholique, comme son prédécesseur l’avait fait auprès des survivants d’orphelinats irlandais soumis à des sévices sexuels.

Veut-on plutôt dire que le pape ne pense pas pouvoir présenter ces excuses lui-même ? Cependant, qui d’autre pourrait le faire au nom de l’Église catholique ? Trois ans après la demande de la CVR, une réponse aussi brève et imprécise quant au fond de la demande nous laisse interdits.

Excuses à la pièce

Le pape ne s’est pas expliqué lui-même, la CECC s’en est chargée. Elle était bien placée pour cela : il n’y a jamais eu d’excuses à ce sujet de sa part. L’Église catholique est la seule des dénominations chrétiennes concernées par les pensionnats à ne jamais avoir présenté ses excuses à ce sujet. 

On en connaît la raison, répétée depuis un quart de siècle : comme la plupart des diocèses catholiques du Canada n’ont pas administré de pensionnats pour autochtones, ils ne peuvent présenter des excuses pour un système auquel ils n’ont pas participé. L’argument est d’une logique simple. En somme, les excuses relèvent des congrégations religieuses catholiques, qui ont administré les deux tiers des pensionnats : elles ont été au service de l’Église catholique dans les pensionnats, mais cela n’associe nullement l’Église catholique à ce qui s’est passé. Les autochtones devront se contenter d’excuses à la pièce : celles qui ont été présentées par divers administrateurs, mais pas celles des inspirateurs d’une conception impérialiste de la mission, conçue et appliquée depuis Rome jusqu’aux extrémités du monde depuis 500 ans, avec les effets pervers que cela implique.

Les survivants étaient des enfants quand des personnes en robe noire ont supplanté leurs parents.

Comme l’expliquait jadis un promoteur des pensionnats, le système en question retirait les enfants autochtones à leurs familles pour les confier au gouvernement et à l’Église, qui allaient leur prodiguer « les soins d’une mère ». Au pensionnat, le religieux enseignant devenait un substitut parental. Dire « notre Mère l’Église » n’a jamais eu autant de sens qu’en ce lieu. 

À cette étape-ci, les enfants d’hier auraient aimé voir un autre visage, entendre un autre parent reconnaître sa responsabilité et s’excuser. Pas en son nom personnel, répétons-le, mais au nom de l’Église catholique.

Processus de réconciliation

Malgré le refus de présenter des excuses, le pape encourage les évêques avec insistance à poursuivre leur travail en vue de la réconciliation. Les évêques assurent les autochtones de leur intention de poursuivre la réconciliation à travers des projets « concrets ». Reconnaissons que la CECC a répondu à d’autres demandes de la CVR en 2016. Mais déplorons qu’on vienne encore échouer sur le récif du propos habituel : les excuses seraient secondaires, symboliques, pas si importantes, l’important, c’est que les choses changent. Imaginons une telle position dans un couple marqué par la violence. Parions sur les chances d’y voir survenir des changements concrets.

Selon le rapport final de la CVR, les excuses font partie d’un processus de réconciliation plus large : « La Commission définit la réconciliation comme un processus continu visant à établir et à maintenir des relations respectueuses. Un élément essentiel de ce processus consiste à réparer le lien de confiance en présentant des excuses, en accordant des réparations individuelles et collectives, et en concrétisant des actions qui témoignent de véritables changements sociétaux. » 

Les excuses ne suffisent jamais. Mais elles sont un passage obligé. C’est le lien de confiance qui est en jeu.

Vu l’absence de paroles d’excuses de la part du pape, comment croire à la possibilité d’une réconciliation ? Cela ne peut pas ouvrir la voie à une ère de « relations respectueuses ».

* Cosignataires : Michel Andraos, théologien, Montréal ; Denise Couture, professeure titulaire, Institut d’études religieuses, Université de Montréal ; Wanda Gabriel, Kanienke’ha : ke Kanesatakeronon, travailleuse sociale ; Élisabeth Garand, directrice, Centre Justice et Foi, Montréal ; Jocelyn Girard, théologien, Institut de formation théologique et pastorale, Chicoutimi, Jean-Guy Goulet, professeur émérite, Université d’Ottawa ; Molly Kane, Montréal ; Claude Lacaille, Trois-Rivières ; Pierre Leclerc, blogueur, Le Verbe, Sainte-Thérèse ; Jean-Guy Nadeau, professeur honoraire, Institut d’études religieuses, Université de Montréal ; Nicole O’Bomsawin, abénakise, conteuse et anthropologue, Odanak ; Richard Renshaw, Montréal ; Nelson Tardif, Montréal

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