Chronique

Un bon maire

Il y a quatre ans, quand Denis Coderre a annoncé sa candidature à la mairie, la plupart des gens, dans mon milieu, étaient sceptiques, pour ne pas dire hostiles. Pas moi.

« C’est un politicien professionnel », disait l’un.

Justement, c’était cela que je voulais. La gouvernance d’une ville aussi diversifiée que Montréal, coincée entre deux ordres de gouvernement et une communauté métropolitaine, ça n’était pas l’affaire d’un animateur social ou d’un technocrate, mais une fonction qui exigeait des qualités d’ordre politique, celles qu’un politicien d’expérience a pu acquérir.

« Il n’a pas de vision », disait l’autre.

La « vision », c’était bien la dernière chose dont je voulais entendre parler, après les grandiloquences olympiques de Jean Drapeau, les divagations nouvel-âgeuses de Pierre Bourque et le sentimentalisme indolent de Gérald Tremblay. Montréal avait besoin de quelqu’un de pragmatique, avec les pieds sur terre.

« C’est un démagogue ! », disait une autre.

Faux. Coderre avait certes un style populiste, mais c’était un politicien classique, un homme de centre, un libéral dans les deux sens du mot. Rien à voir, autrement dit, avec la race des Ford qui régnaient alors sur Toronto, ni avec cette horrible cohorte de populistes extrémistes qu’on allait voir surgir plus tard, de Le Pen à Trump en passant par Mélenchon.

« Ce type vulgaire va nous faire honte ! », disait l’autre. Faux. Coderre pouvait changer de niveau de langue selon le contexte, et en représentation, il s’exprimait dans une langue soutenue, avec une remarquable aisance.

« C’est un has-been. Il n’a plus d’avenir au fédéral, il se rabat sur Montréal », disait un autre.

Vrai. Au PLC, la cote de Coderre avait baissé depuis le départ de Jean Chrétien. Et alors ? Fallait-il avoir rêvé d’être maire de Montréal depuis l’âge de 6 ans pour le devenir ?

En quoi le fait d’avoir un passé en faisait-il un « has-been », un homme dépassé ? Denis Coderre avait été, de l’avis général, un bon député et un excellent ministre de l’Immigration.

Il avait un autre atout : ayant passé 16 ans en politique fédérale, il connaissait le Canada sous toutes ses coutures. C’était mieux que d’avoir un maire qui n’est jamais sorti du village.

Il avait tout pour devenir un bon maire de Montréal, me disais-je à l’époque. Et c’est ce qu’il est devenu. Il s’est installé dans ses nouveaux habits avec enthousiasme, comme s’ils avaient été taillés expressément pour lui.

Il y a bien des choses qui m’ont agacée, chez notre omnimaire. Son goût immodéré pour les coups d’éclat et les déclarations à l’emporte-pièce. Ses sorties démagogiques (le fameux épisode du marteau-piqueur). Ses emportements maniaques (un stade de baseball payé par les contribuables ?). Son initiative désastreuse de cet été (le circuit des voitures électriques en plein centre-ville). L’affaire s’est gâtée encore plus quand, après avoir longtemps refusé d’indiquer le nombre de billets vendus, on a fini par révéler, hier, le piteux résultat des courses.

Mais le maire n’était pas seul en cause dans cette affaire. Alexandre Taillefer, l’homme d’affaires qui veut acheter tout ce qui bouge et songe à une carrière politique, n’était-il pas président d’honneur de la Formule E ? Il s’est éclipsé dès que la soupe a commencé à chauffer, et le maire est resté le seul bouc émissaire de l’aventure.

D’après un récent sondage CROP, qui le montre au coude-à-coude avec Valérie Plante, ce que les Montréalais lui reprochent le plus est l’impact des chantiers sur la circulation.

Moi aussi, j’ai souffert du syndrome des cônes orange, mais il est injuste de s’en prendre au maire Coderre.

C’est à ses prédécesseurs qu’il faudrait en vouloir, eux qui ont laissé les infrastructures se détériorer irrémédiablement parce que leur entretien coûte cher et ne rapporte rien électoralement. Au contraire, il fallait beaucoup de courage pour continuer de mener ces travaux durant une année d’élection.

Ce qui reste, une fois qu’on a aligné les multiples griefs qu’on peut avoir contre une administration hyperactive, c’est une métropole en excellente santé économique. C’est l’extraordinaire infusion d’énergie que le maire Coderre a donnée à une ville qui s’étiolait. L’embellissement des voies d’arrivée à Montréal. La façon parfaitement équilibrée dont il a soutenu les communautés minoritaires tout en préservant la personnalité française de la ville. La détermination avec laquelle il a réagi à la loi 62 sur le voile intégral – une position dictée par le bon sens autant que par le respect de la liberté religieuse.

Son sens politique inné, acéré par ses années d’expérience politique, lui a permis de négocier efficacement avec les différents ordres de gouvernement, d’obtenir le maximum de pouvoirs pour la métropole, de réconcilier Montréal et la banlieue, de prendre harmonieusement le leadership des 82 villes de la communauté métropolitaine et de naviguer habilement dans le système des arrondissements.

La même finesse politique lui a permis de faire siens les thèmes porteurs de l’opposition de gauche (pistes cyclables, environnement, féminisme), tout en ménageant les intérêts des citoyens plus conservateurs.

Il est très difficile de faire l’équilibre entre les composantes d’une grande ville multiculturelle et bilingue où s’affrontent divers intérêts économiques et diverses sensibilités, des milieux d’affaires dynamiques et des groupes communautaires militants.

Il faut de la mesure et du doigté, et seul un politicien doué pouvait réussir ce délicat exercice de balance.

Il a même réalisé l’exploit de s’adjoindre son opposant principal, Richard Bergeron, en donnant carte blanche au chef-fondateur de Projet Montréal dans le projet d’aménagement qui lui tenait le plus à cœur. Il avait déjà invité un autre candidat défait à la mairie, Marcel Côté, à agir comme conseiller économique, et c’est sans parler des conseillers de l’opposition qui ont rejoint son camp et de la nomination du procureur-vedette de la commission Charbonneau au poste crucial d’inspecteur général… Autant d’illustrations de sa capacité de convaincre, de sa force de caractère aussi, car seuls les vrais leaders acceptent de s’entourer de rivaux de poids plutôt que de « béni-oui-oui ».

Est-il « arrogant », comme on le lui reproche ? Pas exactement. L’arrogance comprend une large part de mépris, la certitude qu’on vaut mieux que la plèbe ignorante. Pierre Elliott Trudeau ou Jacques Parizeau pouvaient être arrogants, tout comme le président français Emmanuel Macron. Pas Coderre, cet homme débonnaire, convivial et familier, qui aime le genre humain et est à l’aise avec n’importe qui. Il est coléreux, impulsif à ses heures. Il est autoritaire, sans être pour autant du bois dont on fait les dictateurs. Ce serait, comme on disait dans le temps, un « homme à poigne » – aujourd’hui, on parlerait de leadership. Et il en faut pour diriger Montréal.

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