Conflit à l’usine ABI

Québec s’en mêle

Dans un geste sans précédent, le ministre du Travail a soumis hier une proposition qui exige des concessions de la part des deux parties pour régler le lock-out à l’Aluminerie de Bécancour. Un conflit qui dure depuis plus de 15 mois.

Conflit à l’usine ABI

La tentative du gouvernement

Dans un geste sans précédent, le ministre du Travail a soumis hier une proposition qui exige des concessions de la part des deux parties pour régler le conflit à l’Aluminerie de Bécancour.

QUÉBEC — Espérant mettre un terme au conflit de travail qui perdure depuis 15 mois à l’usine ABI de Bécancour, le gouvernement Legault a soumis hier une « hypothèse de règlement » aux deux parties, une première dans les relations de travail au Québec.

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, espère que les discussions entre syndiqués et patron pourront débloquer d’ici 10 jours avec ce texte, une démarche sans précédent, a-t-on expliqué à La Presse.

L’interruption des travaux à ABI réduit de 500 millions de dollars le produit intérieur brut du Québec et 1030 personnes sont directement touchées, a observé M. Boulet en point de presse.

La proposition mise sur la table ne trace pas mécaniquement la ligne entre les positions des deux parties ; on a intégré les conditions de travail dans des entreprises comparables, l’état du marché du travail, la productivité de l’usine et les critères inspirés par le Code du travail, a souligné M. Boulet.

On a aussi visé la flexibilité opérationnelle, la pérennité de l’usine, la stabilité des emplois et l’amélioration du climat de travail. Le document soumis par Québec parle aussi du protocole de retour au travail, des régimes de retraite, du salaire, de la rétroactivité et de la durée de la convention collective.

« Prendre le temps d'analyser »

Du côté syndical, on observait avec circonspection le geste du gouvernement, après avoir rencontré le ministre Boulet. « La section locale 9700 des Métallos entend prendre le temps de l’analyser au cours des prochains jours. Les porte-paroles ne souhaitent pas en commenter le contenu sur la place publique et se réservent un temps de réflexion quant au processus », a fait savoir le syndicat. Récemment, la proposition patronale et la contreproposition syndicale s’étaient heurtées à un mur.

« Dans ce document, il y a des concessions autant pour la partie syndicale que [pour] la partie patronale. »

— Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Celui qui s’attend à ce que les patrons d’ABI soumettent la proposition à la maison mère, Alcoa et Rio Tinto, et que le syndicat aille voir ses membres, a poursuivi : « Je suis profondément convaincu que cela représente une proposition acceptable, raisonnable. » 

Il a minimisé la sortie de François Legault, qui avait clairement pris parti pour la partie patronale, en soulignant l’importance des salaires de 92 000 $ par année et l’appétit des salariés pour les libérations syndicales.

Si cette tentative est repoussée ? « On verra ! », s’est contenté de dire le ministre Boulet, indiquant clairement toutefois qu’il n’était pas question de loi spéciale dans ce conflit. 

Concernant l’imposition d’un arbitre – une voie prévisible devant une telle impasse –, les deux parties doivent être d’accord. Le projet d’entente déposé hier amènera « minimalement » les parties à reprendre un dialogue au point mort depuis quelques semaines, espère le ministre.

Incendie à l’usine exploitée par des cadres

Un incendie a éclaté à l’Aluminerie de Bécancour, hier matin. Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, a confirmé qu’il n’y avait heureusement eu aucun blessé. « Une cuve a explosé », a-t-il rapporté, s’empressant d’ajouter que « la situation [était] totalement sous contrôle ». L’aluminerie est exploitée par des cadres depuis le début du lock-out, le 11 janvier 2018, mais au ralenti. Lors des dernières communications entre le syndicat des Métallos, affilié à la FTQ, qui représente les travailleurs en lock-out, et la direction, cette dernière avait fait savoir que les cadres commençaient à être épuisés. Ils sont en nombre restreint pour faire ces tâches, bien qu’un sixième seulement de la production habituelle soit fait.

— La Presse canadienne

Aluminerie ABI

Retour sur les événements importants

22 novembre 2017

Le contrat de travail des employés d’ABI prend fin. Parallèlement, les négociations entre ABI et les syndiqués ne mènent à rien. Au cœur du problème : une mésentente quant au régime de retraite et à l’ancienneté.

11 janvier 2018

Quelques heures après que le syndicat des Métallos eut rejeté à 80 % les offres dites « finales » de la direction, 1030 travailleurs d’ABI se retrouvent en lock-out.

24 avril 2018

Lucien Bouchard est nommé médiateur spécial dans le dossier du lock-out. Six mois plus tard, il annonce la suspension des pourparlers parce que les positions sont trop éloignées entre l’employeur et le syndicat.

6 novembre 2018

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, rencontre des dirigeants de l’entreprise à Pittsburgh.

7 novembre 2018

Un conseil de médiation est mis sur pied.

19 décembre 2018

Alcoa (qui détient ABI à 75 %) annonce la réduction de sa production. D’une cuve sur trois exploitée depuis le début du lock-out, on réduira de moitié les cuves en activité.

21 décembre 2018

Le ministre Boulet fixe cette date comme date butoir pour l’obtention d’une entente dans ce conflit.

8 janvier 2019

Les lock-outés se rassemblent devant le bureau du député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel. En un an, le conflit a fait perdre plus de 200 millions de dollars à Hydro-Québec, ABI n’étant pas obligée de payer pour son bloc d’électricité parce qu’un lock-out est considéré comme un cas de « force majeure ».

17 janvier 2019

Le ministre Jean Boulet enjoint les deux parties à faire des concessions.

23 février 2019

Le syndicat des Métallos demande une rencontre avec le premier ministre, François Legault.

4 mars 2019

ABI présente au syndicat une offre écrite qui couvre les trois conventions collectives de l’entreprise. Le 11 mars, l’offre est rejetée à 82 % par les Métallos.

21 mars 2019

Les Métallos font à la direction une contre-proposition, qui est rejetée quelques jours plus tard.

1er avril 2019

Le premier ministre Legault appelle au compromis et estime que les travailleurs ne sont pas « raisonnables ».

17 avril 2019

Le ministre Boulet présente son hypothèse de règlement aux deux parties.

— Isabelle Massé, La Presse

conflit à l’usine ABI

Retour sur le conflit en trois questions

Pourquoi le conflit dure-t-il depuis si longtemps ?

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, a déposé hier une hypothèse de règlement du conflit à l’Aluminerie de Bécancour qui dure depuis 15 mois. Comment un conflit peut-il durer aussi longtemps ? Jean-Claude Bernatchez, professeur titulaire en relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières, émet quelques hypothèses.

« Dans cette usine, il y a des dirigeants américains, qui sont bons, mais qui ont des intentions différentes des nôtres en ce qui a trait au modèle de relations de travail, avance-t-il. Aux États-Unis, on ne voit pas le syndicalisme comme ici. »

Par ailleurs, plusieurs accrochages sont survenus ces dernières années entre l’employeur et ses salariés. On pense au taux horaire négocié pour les étudiants par l’employeur qui avait été remis en question à la hausse par le syndicat, qui a eu gain de cause. Ceci a engendré une facture rétroactive salée pour ABI.

Il y a eu aussi, rappelle-t-il, la poursuite de 19 millions d’Alcoa contre les Métallos accusés de dommages, à l’automne 2017. « Mais au-delà de tout ça arrive la question d’une vision de l’avenir différente de part et d’autre, dit Jean-Claude Bernatchez. Comme la mise en place du travail en continu et l’abolition des quotas, chères à la direction qui pourrait ainsi réduire ses effectifs de 130-140 postes. Et la question de la sécurité d’emploi notamment, qui est le nerf de la guerre pour les employés. »

Qui souffre le plus ?

Malgré le lock-out, Alcoa (qui possède ABI à 75 %) a 22 autres alumineries dans le monde. ABI représente 8 % de toute sa production d’aluminium. « Mais elle a des capacités de substitution, analyse Jean-Claude Bernatchez. Les ventes d’Alcoa ont connu une augmentation de 15 % l’an dernier, donc elle ne perd pas tant que ça.

« Quant à l’argument que les Québécois écopent à cause des pertes de revenus de 215 millions d’Hydro-Québec, vu le conflit, il faut aller voir ses résultats : ses profits ont augmenté de 346 millions en 2018. Cela dit, les travailleurs et les entreprises du coin perdent. Selon le ministre Boulet, les conséquences économiques sont de l’ordre de 500 millions depuis le début du conflit. »

Selon M. Bernatchez, on pourrait aussi calculer les 45 millions en impôts perdus, si on tient compte du fait que 1030 travailleurs sont payés en moyenne 91 600 $ par an.

Enfin, si le retour au travail des syndiqués se fait sur plusieurs mois après le règlement du conflit, comme le souhaite ABI, de nombreux travailleurs seront sans salaire ni allocations syndicales pendant des mois.

Est-ce que l’hypothèse de règlement est une bonne chose ?

« Une telle action, ça n’existe pas dans le Code du travail », note Jean-Claude Bernatchez. Jean Boulet, « un très bon praticien », l’a déposée conséquemment à une promesse électorale de François Legault. « Cette hypothèse peut permettre de comprendre la médiation de Lucien Bouchard et Jean Nolin, estime M. Bernatchez. Cela dit, le syndicat a déjà dit qu’il n’en voulait pas. Ça reste une occasion de régler le conflit. Autrement, l’employeur, qui rénove présentement son usine, peut attendre encore quelques mois. »

Résultats trimestriels

L’exercice commence mal pour Alcoa

Alcoa affiche une perte de 199 millions US à son premier trimestre (1,07 $ US par action), alors qu’elle avait enregistré un profit de 195 millions (1,04 $ l’action) pour la même période l’an dernier. Ces résultats sont inférieurs aux attentes des analystes de Wall Street, qui s’attendaient à une perte de moindre ampleur. L’entreprise, dont le siège social est à Pittsburgh, a encaissé des revenus de 2,72 milliards pour le trimestre, ce qui est aussi légèrement inférieur aux attentes. L’action d’Alcoa a progressé de 4 % depuis le début de l’année, alors que l’indice S&P 500 avançait de 16 %. Hier, l’action a été stable pendant les heures régulières du marché et en légère baisse par la suite.

— D’après l’Associated Press

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