Des rites et des plantes
La Fonderie Darling propose une programmation estivale ambitieuse avec la première expo solo au Canada d’Ulla von Brandenburg, artiste allemande renommée en Europe, et une recherche très originale de l’artiste canadienne Catherine Lescarbeau sur l’institutionnalisation du vivant.
La grande salle de la Fonderie Darling accueille cet été une œuvre fort intéressante et plus que nécessaire de l’Allemande Ulla von Brandenburg. L’artiste multidisciplinaire qui réside à Paris a créé une installation intitulée . Il s’agit d’une œuvre de très grand format sur les rituels (pas nécessairement religieux) et les rencontres humaines.
Pour l’illustrer, une scénographie impressionnante a été réalisée dans l’immense pièce de la Fonderie Darling avec deux grandes estrades en bois placées en parallèle et pourvues d’escaliers. Le public peut ainsi grimper sur ces plates-formes et s’asseoir en face d’un écran où Ulla von Brandenburg projette un film.
Les visiteurs de la galerie deviennent à la fois spectateurs et acteurs de l’œuvre. Assis dans des escaliers, ils regardent le film où des danseurs… sont à fois spectateurs d’actions et acteurs d’un spectacle. La couleur est omniprésente dans le film de 23 minutes, une permanence caractéristique du travail de l’artiste. Pourtant, tous les films d’Ulla von Brandenburg ont jusqu’à présent été en noir et blanc. Mais là, le tissu – symbole de rencontre, de construction, de protection – induit le thème de la diversité culturelle et donc des couleurs de la vie.
Du tissu jaune orangé, rouge, bleu ou noir danse devant la caméra, se mêle et laisse entrevoir une salle où trois danseuses et quatre danseurs montent eux aussi des escaliers, à leur rythme.
« Je voulais inclure de la danse contemporaine dans ce projet, mais que ce soit aussi abstrait tout en exprimant quelque chose avec le corps », dit Ulla von Brandenburg, qui fait partie des quatre artistes nommés cette année pour le célèbre prix français Marcel-Duchamp.
Expression corporelle, recherche d’équilibre, maîtrise de l’espace, la danse est solitaire ou collective à travers les images d’Ulla von Brandenburg.
On saisit une trame, une histoire dans laquelle il est question de procession, d’un rituel de groupe, de confiance, de transformation, d’entraide, d’hommage et de respect.
Esthétiquement réussi, rempli de silences, de couleurs douces et d’une lumière feutrée, le film est un message d’empathie et d’humanisme qu’Ulla von Brandenburg transmet avec beauté et à-propos. Bravo ! L’installation est présentée simultanément par la Fonderie Darling et par la galerie The Power Plant, à Toronto. La version torontoise diffère légèrement de la montréalaise. Nous en reparlerons…
Quand on pénètre dans la petite salle de la Fonderie, le propos est différent. Dans un commissariat de Marie-Hélène Leblanc, directrice de la galerie de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), Catherine Lescarbeau propose un déploiement éminemment conceptuel. L’artiste s’intéresse au croisement entre art conceptuel et critique institutionnelle.
Pour son , elle est partie d’une réflexion autour de nos relations avec les plantes dans un contexte de travail, du rôle qu’elles ont dans les espaces professionnels. Ces plantes sont-elles des œuvres d’art ? Leur présence dans un espace clos – alors qu’elles sont une expression de la nature, environnement par définition extérieur – est-elle une aberration ? Quelle est la limite esthétique d’une institution ? Etc.
Pour étayer son propos, l’artiste a pris connaissance des plantes disposées dans les salles lors de l’exposition , au Musée des beaux-arts du Canada en… 1969. Elle a ensuite fait l’inventaire botanique de toutes les espèces végétales de l’Université du Québec en Outaouais avant de faire celui des plantes d’ornementation de la Fonderie Darling !
La procédure peut paraître dérisoire, mais elle constitue la base d’une narration. « Je construis une fiction autour d’un projet d’archives, dit-elle. L’approche est postconceptuelle. Je joue sur ça et sur la question de savoir ce qu’est un artiste qui fait une recherche. La plante est ici une interface. »
Les plantes exposées sont identifiées grâce à des fiches taxonomiques qui deviennent les cartels de cette expo qui s’adresse plus aux exercices de l’esprit qu’aux plaisirs des yeux.
À la Fonderie Darling (rue Ottawa, Montréal), jusqu’au 21 août