Trump contre Washington : un an plus tard

Dans l’antichambre de la Maison-Blanche

Le 20 janvier dernier, Donald Trump devenait président des États-Unis et emménageait à Washington, une ville qui lui est ouvertement hostile. Un an plus tard, où en est le duel Trump-Washington ? Pendant cinq jours, notre journaliste revisite les lieux de pouvoir de la capitale qu’elle a visités il y a un an pour répondre à cette question. Aujourd’hui, l’hôtel international Trump.

WASHINGTON — Deux jours après qu’un sénateur démocrate eut rapporté que le président américain avait qualifié Haïti et plusieurs pays africains de « pays de merde » lors d’une réunion, la façade de l’hôtel international Trump de Washington a été « redécorée » par un artiste protestataire qui y a projeté la même insulte en immenses lettres blanches lumineuses.

« Ceci est un endroit de merde ! », pouvait-on lire samedi soir sous la tour de l’horloge de l’établissement cinq étoiles, situé sur l’avenue de Pennsylvanie, à tout juste un kilomètre de la Maison-Blanche.

Les photos de l’acte de dissidence silencieux ont vite fait le tour des médias. Les touristes, peu nombreux dans la capitale américaine en cette saison plus froide qu’à l’habitude, riaient à gorge déployée devant la projection rebelle, accompagnée d’émojis disgracieux.

Cible à répétition

Cet incident n’est pas le premier du genre. Au cours de la dernière année, l’hôtel international Trump de Washington, ouvert tout juste avant les élections de 2016 dans l’ancien bureau de poste de la capitale, est l’une des cibles préférées des manifestants qui veulent dénoncer tant les décisions que les propos et les agissements du président américain.

« Cet hôtel est devenu l’incarnation de l’administration Trump. Les gens viennent y protester autant pour dénoncer les décisions de l’administration que la manière avec laquelle Donald Trump continue de mener ses affaires même s’il est président », a dit à La Presse Alan Zibel de l’organisation Public Citizen, en rappelant que le milliardaire, en s’installant dans le bureau Ovale il y a un an, avait refusé de se retirer des quelque 400 entreprises auxquelles il était lié. Il s’était contenté de confier la gestion de son empire immobilier à ses deux fils.

Les affaires du président

Dans un rapport rendu public hier, Public Citizen démontre que l’hôtel de Washington n’est pas populaire qu’auprès des manifestants. En moins d’un an, à au moins 40 occasions, des gouvernements étrangers, des lobbys, des entreprises faisant affaire avec le gouvernement et des candidats politiques ont été clients de l’hôtel washingtonien du président, en y tenant un événement, en y mangeant ou en y passant la nuit.

« C’est l’annexe de la Maison-Blanche. C’est l’endroit où il faut être quand on est lobbyiste ou quand on a des liens avec l’administration Trump. On sort et on boit des martinis trop chers pour avoir accès au pouvoir », dit M. Zibel, qui a compilé les rapports médiatiques et les données de la Commission fédérale des élections pour rédiger le rapport.

« Il n’y a aucune façon d’expliquer pourquoi ces gouvernements ou ces organisations décident de fréquenter cet hôtel ou d’y tenir un événement si ce n’est pour s’attirer les faveurs du président. »

— Alan Zibel de l’organisation Public Citizen

Il cite à titre d’exemple le gouvernement de l’Arabie saoudite, qui a versé près de 270 000 $ à l’hôtel pour héberger et nourrir un groupe de vétérans américains qui étaient dans la capitale pour s’opposer à une loi permettant aux familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001 de poursuivre les autorités saoudiennes. Quelques semaines après ce séjour onéreux, Donald Trump choisissait d’aller en Arabie saoudite pour son premier voyage à l’étranger, a rapporté l’automne dernier Washington Post. Les gouvernements turc, malaisien et koweïtien ont aussi été au nombre des clients de l’hôtel dans la dernière année.

Concert de critiques

Public Citizen n’est pas la seule organisation à dénoncer ces pratiques et les apparences de conflits d’intérêts. Trois poursuites, arguant notamment que le président américain enfreint la Constitution en recevant des « émoluments » (ou revenus) de la part de gouvernements étrangers, sont en cours. Une poursuite similaire a été rejetée par un juge en décembre, mais est portée en appel.

L’organisation Trump, gérée temporairement par les deux fils du président, affirme qu’elle compte à un moment donné verser au gouvernement les profits générés par les gouvernements étrangers. Pour le moment, aucune somme n’a été déboursée.

Selon M. Zibel, cette mesure ne suffit pas à amoindrir les conflits d’intérêts du président. « Qui va définir ce qui représente les profits ainsi amassés ? Notre présidence ne devrait pas être à vendre. L’intégrité du leader du monde libre doit être irréprochable. »

Une équipe internationale

À l’hôtel Trump, on ne semble pas s’inquiéter outre mesure de ces critiques persistantes. Un des portiers de l’établissement nous a dit sans hésiter que plusieurs présidents africains avaient séjourné dans l’hôtel au cours de la dernière année. « L’équipe de l’hôtel est super internationale. Le gérant est français. Les employés sont de partout dans le monde. En tout, il ne doit y avoir que 10 citoyens américains au sein du personnel », nous a dit fièrement le jeune homme originaire d’Afrique de l’Ouest, tout en minimisant les propos du président sur Haïti et l’ensemble des pays africains. « Il a toujours parlé comme ça », dit-il.

Si l’hôtel Trump est toujours controversé un an après son ouverture, il est aujourd’hui beaucoup plus accessible qu’à ses tout débuts. Il y a un an, seuls les clients de l’hôtel qui déboursaient plus de 1000 $ par soir et ceux qui avaient une réservation au restaurant de l’établissement pouvaient avoir accès au grand hall bleu et or de l’hôtel et admirer son toit de verre. D’importantes mesures de sécurité rendaient l’accès difficile. Les journalistes étaient refoulés.

Aujourd’hui, les curieux qui ont envie de tester le Benjamin, un cocktail à 100 $US qui allie vodka, huîtres, caviar et pommes de terre, peuvent se sustenter au bar en toute simplicité. Les clients qui débarquent à l’heure du souper auront peut-être comme voisin de table le président lui-même. Accompagné d’une trentaine de gardes de sécurité, ce dernier y vient plusieurs fois par mois pour manger un steak (le moins cher est à 53 $US) accompagné de ketchup.

Un hôtel baignant dans la controverse

Donald Trump n’avait pas annoncé sa candidature dans la course à la Maison-Blanche que, déjà, son projet d’hôtel à Washington soulevait la controverse. Beaucoup pensaient que l’État avait fait un bien mauvais choix en confiant la conversion d’un lieu historique national à l’empire Trump. Après la fin des rénovations de 220 millions, des entrepreneurs ont poursuivi l’homme d’affaires pour non-paiement. L’hôtel a néanmoins ouvert à temps pour la cérémonie d’investiture du président Trump le 20 janvier dernier.

— Laura-Julie Perreault, La Presse

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