SCIENCE

Un avenir lumineux pour l’internet

C’est en quelque sorte une version XXIe siècle de la transmission entre navires par signaux lumineux avec le code Morse. Depuis quelques années, un nombre grandissant d’entreprises planchent sur le LiFi, la transmission de données par des ampoules plutôt que par des signaux radio émis par une borne WiFi.

Le grand avantage du LiFi est actuellement la sécurité : les ondes lumineuses ne peuvent franchir les murs opaques et, de toute façon, sont généralement transmises en cône de manière directionnelle, contrairement au WiFi qui peut être capté dans toutes les directions. Cela le rend particulièrement intéressant pour les banques et les hôpitaux, pour qui la protection des données est primordiale. 

Éventuellement, sa vitesse pourrait aussi être un atout précieux, atteignant dans un laboratoire allemand, en 2014, 3 gigaoctets par seconde, soit trois fois les vitesses théoriques maximales actuelles du WiFi.

Le LiFi est aussi plus précis que le GPS, ce qui permettra de guider les consommateurs dans les magasins jusqu’aux aubaines ou aux produits qu’ils cherchent. La chaîne de supermarchés française Carrefour s’est alliée en 2015 avec la firme néerlandaise Philips pour un projet-pilote de ce genre à Lille. Plusieurs musées français ont testé des audioguides activés par LiFi. Enfin, les compagnies aériennes sont intéressées par le LiFi parce qu’il cause moins d’interférences avec les systèmes de communication et de positionnement des avions.

« Le LiFi sera déployé à grande échelle d’ici trois ans », explique Harald Haas, un professeur de génie de l’Université d’Édimbourg qui a présenté, en 2011, une conférence TED sur le sujet, puis fondé la firme pureLiFi. « Les fournisseurs d’électricité vont recommencer à avoir un rôle important dans la société et dans l’industrie parce qu’ils seront dans les télécommunications. » 

« Il a fallu 100 ans au téléphone pour s’imposer, 15 ans au WiFi. Pour le LiFi, ce sera encore plus rapide. »

— Harald Haas, professeur de génie à l’Université d’Édimbourg

Longue histoire

Le principe de la communication lumineuse se perd dans la nuit des temps : les postes de garde à la frontière de l’Empire romain gardaient des bûchers prêts à être allumés en cas d’attaque, pour prévenir les garnisons de réserve. En 1792, l’inventeur français Claude Chappe a proposé pour la première fois la communication lumineuse moderne, le « sémaphore ». Alexander Graham Bell a imaginé en 1880 un « photophone » qui, selon M. Haas, était considéré par l’inventeur canado-américain comme sa plus importante invention.

À partir de la fin du XIXe siècle, les navires de guerre ont utilisé le code Morse lumineux pour communiquer entre eux en temps de guerre, quand le silence radio était de mise. L’invention du laser dans les années 70 a relancé la communication lumineuse, menant aux télécommandes actuelles. Et en 2003, des chercheurs japonais de l’Université Keio, à Tokyo, ont réussi à faire une transmission internet avec des ampoules DEL. Le terme LiFi a été proposé par M. Haas – qui collaborait avec les chercheurs japonais de Keio lorsqu’ils ont fait leur découverte – lors de sa conférence TED de 2011.

« Beaucoup d’entreprises en démarrage [start-ups] ont commencé à s’intéresser au LiFi à partir de 2008 », explique Mohammad Noshad, l’un des fondateurs de la firme VLNComm en Virginie. « J’y ai consacré mon doctorat entre 2011 et 2013, puis j’ai travaillé à Harvard pendant que je cherchais du financement. Les firmes qui ont commercialisé les premiers systèmes LiFi jusqu’à maintenant ont utilisé une modulation de fréquence de la lumière. Nous pensons qu’il sera plus efficace de faire de la modulation d’amplitude, mais les ampoules DEL nécessaires ne sont pas au point. Nous pensons qu’un lancement commercial sera possible l’an prochain. »

avenir prometteur

Les modulations des ampoules sont trop rapides pour être vues à l’œil nu. Elles sont aussi possibles quand l’interrupteur est éteint parce que des signaux lumineux peuvent être émis sans qu’il y ait de la lumière visible. 

Les gradateurs [dimmers] abaissent la vitesse, mais pas assez pour nuire au processus, selon M. Noshad : « On atteint une vitesse de 200 mégaoctets par seconde. Avec un modulateur, on baisse à 50 mégaoctets par seconde. C’est déjà beaucoup plus que la plupart des systèmes WiFi. »

Faudra-t-il refaire tout le câblage de la maison ? « Nous voulons travailler avec les câbles électriques existants, comme c’est déjà possible pour les amplificateurs WiFi », dit M. Noshad. 

Pour le moment, Lucibel, une firme française qui a lancé en 2015 un système LiFi en collaboration avec pureLiFi, nécessite un câblage internet à l’intérieur des murs. M. Haas ajoute que les ampoules LED peuvent être alimentées par des câbles Ethernet, moins puissants, ce qui évitera de devoir recourir à des électriciens pour le câblage des lumières.

Économies

Pour les avions, outre l’élimination d’interférences avec les communications radio du cockpit, l’avantage d’utiliser des lampes pour transmettre les films et les signaux internet sera d’éliminer trois tonnes de câbles menant aux écrans derrière les sièges, selon Deepak Solanki, PDG de Velmenni, qui travaille sur le LiFi avec Airbus. « Et si on utilise le LiFi pour d’autres types de communications internet à l’intérieur de l’avion, on pourrait éliminer 30 % des câbles, soit 13 tonnes, dit M. Solanki en entrevue depuis Bangalore. Ça diminue la consommation de carburant. »

Le système de Lucibel coûte 2000 euros et vise les clients institutionnels. Il comporte un récepteur décodant les signaux de l’ampoule DEL, auquel peuvent se brancher jusqu’à huit utilisateurs. Un rapport de la firme d’analyse de marché indienne MarketsandMarkets évaluait en 2013 que le marché LiFi mondial atteindra 6 milliards US en 2018. En comparaison, MarketsandMarkets vient de publier un rapport sur le WiFi, qui évaluait à 15 milliards US le marché mondial du WiFi en 2015 et prévoyait un marché de 34 milliards US en 2022.

Les fabricants d’appareils nécessitant une connexion internet ont pris acte du LiFi. Selon un récent article de l’hebdomadaire The Economist, Apple a prévu que ses prochains iPhone pourront recevoir des signaux LiFi. Harald Haas précise que le projet-pilote de Carrefour à Lille n’est pas à proprement parler du LiFi parce que la lumière des ampoules DEL n’est utilisée que pour localiser les téléphones portables, pas pour transmettre des données, ce qui est fait par Bluetooth. The Economist rapportait également que la Ville de Chicago testait l’incorporation d’émetteurs LiFi dans ses lampadaires.

Les entreprises

pureLiFi

Cette entreprise écossaise veut mettre au point des câbles électriques et des ampoules compatibles avec le LiFi pour les nouveaux bâtiments.

Lucibel 

Cette société française a lancé en partenariat avec pureLiFi un système LiFi pour les clients institutionnels.

Philips 

Cette vénérable société néerlandaise a un projet-pilote de magasinage par LiFi dans un supermarché français de Carrefour.

Luciom

Cette société française travaille avec Airbus et Boeing au LiFi pour les avions et teste le LiFi à l’aéroport parisien d’Orly.

VLNComm 

Cette entreprise américaine prépare un système LiFi basé sur une variation de l’amplitude de la lumière plutôt que de la fréquence.

Velmenni

Cette entreprise indienne établie dans un incubateur techno d’Estonie travaille avec Airbus au LiFi pour les avions, entre autres projets LiFi.

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