IceCaps de St. John’s

Quel bilan pour le club-école ?

Au cours d’une discussion à bâtons rompus, la semaine dernière, l’entraîneur-chef du club-école des Sénateurs d’Ottawa, Kurt Kleinendorst, énonçait ses trois priorités, dans l’ordre : développer des joueurs, s’assurer que les joueurs rappelés soient prêts à aider l’équipe mère et participer aux séries éliminatoires.

Kleinendorst n’énonçait rien de bien révélateur. On devine que ces priorités sont essentiellement les mêmes ailleurs dans la Ligue américaine. Le degré d’importance accordé à chacune d’elles peut toutefois varier d’une organisation à l’autre.

Qu’en est-il chez les IceCaps de St. John’s ? Le club-école du Tricolore en est à une cinquième saison de suite avec Sylvain Lefebvre comme entraîneur-chef. C’est aussi la cinquième saison de Marc Bergevin comme directeur général du CH, et les résultats du club-école dépendent évidemment des directives du DG.

Participer aux séries

Ici, pas vraiment moyen d’argumenter. La filiale du Canadien n’a jamais participé aux séries sous l’administration actuelle. Une génération d’espoirs s’est donc développée sans disputer ces matchs à haute intensité ni vivre de course aux séries, puisque l’équipe était toujours écartée plusieurs semaines avant la fin du calendrier. Cette saison, par contre, les IceCaps sont en voie de se qualifier, puisqu’ils occupent le troisième rang de leur division. « En commençant la saison, tu veux toujours participer aux séries, mais tout en gardant le contrôle sur le travail demandé », rappelle Lefebvre, rencontré la semaine dernière.

Préparer les joueurs à remplacer

De ce côté, Lefebvre réussit sa mission. On en a eu la preuve éclatante la saison dernière, quand l’hécatombe chez le Canadien a engendré une panoplie de rappels de joueurs qui n’étaient pas prêts pour la LNH. Certains, comme Darren Dietz et Joel Hanley, ont suffisamment bien joué pour survivre une dizaine de matchs. Du reste, les joueurs qui en arrachaient semblaient plus avoir des problèmes de vitesse d’exécution ou de prise de décisions. « Ils sont prêts quand ils arrivent, car on utilise le même système qu’à Montréal. Ils peuvent donc se concentrer à jouer, au lieu de chercher où se positionner », explique Lefebvre.

Développer des joueurs

Dans ce secteur, le constat est moins reluisant. La Presse a calculé que depuis l’arrivée de Bergevin en poste, le Canadien a rappelé 31 joueurs de son club-école. On retrouve dans cette liste des joueurs établis comme Brendan Gallagher, des noms qu’on oubliera vite comme Joonas Nattinen et Drayson Bowman, et des vétérans qu’on a récompensés comme John Scott et Martin St-Pierre. De ces 31 joueurs, 13 ont disputé moins de 10 matchs avec le grand club. Des 18 joueurs qui restent, la moitié a obtenu moins de 10 points. Au terme de ce processus d’épuration, on parle donc de neuf joueurs qui ont eu un certain impact ou, du moins, qui ont eu droit à une audition prolongée.

Cuvée mince

Ces neuf joueurs sont Gallagher, Nathan Beaulieu, Greg Pateryn, Michaël Bournival, Sven Andrighetto, Daniel Carr et Mark Barberio, de même que les gardiens Dustin Tokarski et Mike Condon. Un astérisque s’impose à côté du nom de Barberio, par contre, puisqu’il est arrivé dans l’organisation à 25 ans. Son développement était passablement avancé. Du reste, on admettra qu’il n’y a pas de quoi écrire à sa mère, à l’exception de Gallagher et, dans une moindre mesure, Beaulieu. « Les joueurs des deux premiers trios et les défenseurs top 4 ne sont pas là longtemps, plaide Lefebvre. Regarde Alex Galchenyuk, Artturi Lehkonen, on ne les a pas vus. Et Gallagher a été là une demi-saison. »

Le cas De La Rose

Impossible de faire ce recensement des espoirs sans aborder le cas de Jacob De La Rose. L’attaquant suédois, choix de 2e tour (34e au total) en 2013, semblait en voie de devenir un rouage important du Canadien quand il a disputé 33 matchs en 2014-2015, de même que 12 matchs en séries, à l’âge de 19 ans. Mais son incapacité à générer de l’attaque lui a valu d’amorcer la saison dans la Ligue américaine, où il ne compte qu’un but et huit aides en 25 matchs. Aurait-il « échappé » au système de développement du Canadien ? « Sa confiance était peut-être un peu ébranlée à un moment donné. Mais le fait d’être assistant lui a donné un peu de pep, souligne Lefebvre. C’est un bon jeune avec une bonne tête sur les épaules, donc il va s’en sortir. » À 21 ans, De La Rose a encore du temps pour se replacer.

Ailleurs

Le Canadien d’aujourd’hui ne compte donc que deux joueurs « à temps plein » formés depuis 2012 par le club-école (Pateryn, Carr, Andrighetto et Barberio ont un statut trop précaire pour être comptabilisés). Qu’en est-il ailleurs ? Prenons l’exemple de la dernière finale de la Coupe Stanley. Les Penguins de Pittsburgh comptaient cinq employés « permanents » formés dans la filiale au cours des quatre dernières saisons : Tom Kuhnhackl, Bryan Rust, Conor Sheary, Brian Dumoulin et le gardien Matt Murray. Les Sharks de San Jose, eux, avaient quatre joueurs du genre dans leurs rangs : Matt Nieto, Melker Karlsson, Chris Tierney et Tommy Wingels. De ce groupe, seulement deux sont de véritables joueurs d’impact : Murray et Sheary. Les autres occupent surtout des rôles de soutien.

Le verdict

Si on se fie aux expériences des Sharks et des Penguins, Lefebvre a raison de souligner que les meilleurs éléments ne restent pas longtemps dans le club-école, et ne s’y arrêtent carrément pas dans certains cas. D’ailleurs, à l’exception de Nikita Kucherov, qui a fait un passage éclair de 17 matchs à Syracuse, les 10 meilleurs compteurs de la LNH ont tous court-circuité la Ligue américaine. Il est donc normal que la filiale ne produise pas de joueurs d’impact et, de ce côté, le recrutement professionnel du CH affiche d’excellents résultats (Paul Byron, Alexander Radulov, Andrew Shaw). En quantité, par contre, la récolte du Canadien dans son club-école demeure mince depuis l’arrivée de Bergevin. Ce genre de lacune pourrait se ressentir quand les blessés commenceront à s’accumuler.

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