Chronique

Bombardier, BS corpo

Le gouvernement du Québec a choisi de ne pas laisser « crasher » ce fleuron industriel qu’est Bombardier. Il lui a donné 1 milliard US – donc 1,3 milliard CAN – pour sauver sa gamme d’avions C Series.

C’est un choix qui a été fait dans le passé par d’autres États dans d’autres industries et entreprises. Et c’est un choix qui aurait été assurément fait par Pierre Karl Péladeau et par François Legault, nonobstant leurs molles protestations de jeudi.

Car 1 milliard ajouté à la dette provinciale, ça coûte politiquement moins cher qu’être au pouvoir le jour où Bombardier ferme ses usines et met des milliers de Québécois au chômage.

Peut-être que le pari va payer, peut-être que ce milliard va aider Bombardier à vendre tellement d’avions que Québec touchera des profits.

Ce qui me fait suer, c’est que les mêmes génies qui ont géré tout croche le développement de la C Series vont rester aux commandes de Bombardier.

Ce n’est pas mon constat de poète à cinq cennes. C’est celui d’analystes financiers qui n’ont justement aucun goût pour la poésie. Ainsi, jeudi, lors d’une conférence téléphonique de Bombardier, l’analyste Ronald Epstein de la Bank of America Merrill Lynch a lancé au C.A. : « Comment les choses se sont-elles dégradées si vite ? Comment être sûr que ça n’arrivera pas encore, quand la gouvernance n’a pas changé ? Vous avez le même conseil d’administration. »

Un autre analyste, Scott Hamilton de Leeham Co, a écrit au sujet de la C Series : « C’est un bon avion, mais l’équipe de gestion a pris toutes les mauvaises décisions qu’il était possible de prendre, laissant Bombardier dans la situation précaire qu’on connaît aujourd’hui. »

Et c’est ici que je refuse d’avaler la couleuvre : le gouvernement du Québec a confié 1 milliard de notre argent à des administrateurs qui ont piloté le désastre du développement – l’avion, lui, est un bon avion, dit-on – de la C Series sans demander le moindre changement dans l’équipe des administrateurs.

Non, le ministre Jacques Daoust n’a exigé le remplacement d’aucun de ces administrateurs en échange de ce don sans condition. 

Ce sont eux qui ont guidé Bombardier dans le triangle des Bermudes financier qui menace sa survie, mais pas de problème, voici 1,3 milliard CAN !

Prenez le cas de Pierre Beaudoin. C’est le président du conseil d’administration de Bombardier. Comme PDG, il est loin d’avoir eu le même succès que son père, Laurent. Pendant ses six années et demie à la tête de Bombardier, le titre a perdu 67 % de sa valeur. Normalement, on congédie un tel dirigeant et on lui donne un parachute doré en guise de compensation.

Pas chez Bombardier. Chez Bombardier, Pierre Beaudoin a été remplacé et on l’a nommé président exécutif du conseil d’administration !

Traduction : chez Bombardier, le PDG qui n’a pas été capable de livrer la marchandise dans la C Series préside le conseil d’administration chargé d’encadrer le nouveau PDG.

Tout cela ne concernerait que les actionnaires de Bombardier si Bombardier n’était pas une société qui vit aux crochets de l’État, comme en fait foi le cadeau public que Bombardier vient (encore, ce n’est pas la première fois) de se téter auprès de Québec (Ottawa contribue aussi, autrement).

On dirait que nous sommes devant un cas de cécité cognitive : Jacques Daoust, issu de Québec inc., a trop en commun avec les gens du « board » de Bombardier pour même penser que ces gens-là – ses camarades de Québec inc. – ont pu mal gérer le développement de la C Series. Un préjugé favorable qui le rend aveugle aux carences de ce C.A., qui sont pourtant constatées par les analystes financiers.

Permettez que je souligne que pendant que Bombardier demande un maximum de dollars aux contribuables canadiens et québécois, elle fait le maximum pour payer le minimum d’impôts au Canada et au Québec. Pour mémoire, revoir le dossier de l’émission Enquête, il y a un an, sur les profits de Bombardier qui vont faire du tourisme dans le paradis fiscal qu’est le Luxembourg.

Je sais, je sais… Bombardier va dire que l’utilisation de paradis fiscaux est parfaitement légale. Toutes les multinationales disent ça. Et c’est vrai : c’est légal d’envoyer tes profits au Luxembourg pour éviter l’impôt local.

Mais quand tu connais ceux qui écrivent les lois et ceux qui négocient les traités, tu peux facilement rendre légal ce qui est parfaitement immoral. C’est ce que font les multinationales.

Et, des fois, en prime, après avoir influé en ta faveur sur la rédaction des lois et des traités, tu peux même te faire donner 1,3 milliard de fonds publics pour récompenser ton incompétence. En anglais, on appelle ça Too big to fail.

Mais il y a un nom pour les entreprises comme Bombardier qui ont toujours besoin d’être sauvées par les États : des BS corporatifs.

Ce serait juste le fun de voir l’État traiter les dirigeants de Bombardier avec le même zèle que les inspecteurs du BS, quand ils débarquent chez un prestataire. Je regarde le sourire que Jacques Daoust affichait en serrant la main du PDG de Bombardier, jeudi : ce n’est pas le cas.

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