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Opinion Santé

Oui, je suis inquiète

Cette lettre fait suite à la chronique de Patrick Lagacé, « Viens voir le beau cancer… », publiée le 25 novembre.

Bonjour M. Lagacé. J’ai hésité à écrire. Cela fait quelques lettres que j’écris mais que je n’envoie pas par manque de courage, manque de temps. Maintenant, je crois que c’est le bon moment pour moi. Je vous écris car j’aimerais faire entendre mes inquiétudes et des faits qui, trop souvent, selon moi, sont ignorés dans tous ces articles sur le système de santé, mais aussi pour répondre à votre article du 25 novembre 2017 dernier.

J’entendais récemment, par hasard, André Arthur dire, en parlant de notre premier ministre Couillard, que pour être capable d’être médecin, il faut une absence d’empathie. Vous comprenez toutefois à travers plusieurs témoignages que cela est totalement faux. Il faut de l’empathie pour être médecin, un bon médecin, mais il faut éviter la sympathie. L’empathie signifie comprendre les émotions de notre patient et être capable de se mettre à sa place pour bien l’écouter et le soutenir. En contrepartie, la sympathie signifie vivre les émotions de notre patient, ce qui est difficilement conciliable avec l’objectivité nécessaire pour procurer des soins et garder une saine distance avec le patient.

Depuis longtemps, l’empathie est enseignée à l’université.

Depuis plus de 15 ans, il y a des entrevues d’admission en médecine et en médecine familiale afin de détecter, parmi les meilleurs sur le plan scolaire, ceux ayant cette capacité d’empathie.

À l’Université Laval, on enseigne la décision partagée et avons une importante chaire de recherche sur ce sujet.

On enseigne aussi la méthode clinique centrée sur le patient, et ce, dès les premières années de médecine. Le programme en médecine familiale implique des professionnels de l’empathie, des travailleurs sociaux et des psychologues qui aident à soutenir la formation en ce sens à nos futurs médecins. Toutefois, malgré des données probantes démontrant l’importance de leur implication dans la formation des futurs médecins, le ministre diminue le temps que ces professionnels peuvent allouer à l’enseignement et demande à tous les médecins de famille de revoir leur façon d’enseigner pour voir plus de patients. « Voir plus de patients », bien d’accord avec le principe, toutefois, cela signifie moins de temps disponible en enseignement auprès des futurs médecins et donc moins de temps pour enseigner l’empathie et l’annonce d’une mauvaise nouvelle.

Oui, je suis inquiète. Alors que depuis des années, les facultés de médecine tentent d’améliorer la formation en mettant de l’avant l’importance de l’humanisme, les orientations ministérielles actuelles visent à pousser les médecins à prendre de plus en plus de patients en charge pour assurer à tous un médecin de famille…

Quand aurons-nous le temps de faire de la vraie médecine familiale ? Quand je parle de médecine familiale, je parle de cette médecine où on suit la famille et on voit grandir nos patients, on leur fait un peu d’éducation, on fait de la prévention sous toutes ses formes pour limiter les problèmes de santé et non seulement les traiter. Nous serions assez pour faire la tâche, selon certains. Mais pourquoi ne pas être plus pour offrir un meilleur service à nos patients et en suivre moins, mais mieux ? Pourquoi ne pas prendre davantage le temps d’éduquer nos patients pour éviter les consultations inutiles et être capable de les voir lorsque nécessaire ? Travaillons en équipe, en groupe, en population afin d’améliorer la santé de tous sous toutes ses formes et tentons d’unir nos forces et trouver des solutions à partir de ces forces plutôt que tout détruire et tenter tant bien que mal de reconstruire trop vite un château de cartes.

Oui, je suis réellement inquiète.

Nous parlons beaucoup dans les journaux de ces méchants médecins qui demandent toujours plus, qui sont non disponibles et sans empathie, mais on parle trop peu de ces médecins qui ont passé entre 7 et 12 années d’études universitaires avec des tâches et des conditions de travail constamment en changement.

On parle trop peu de ces médecins enseignants, comme moi, qui passent du temps à trouver des solutions et à encadrer des étudiants en difficultés à travers les autres tâches cliniques, entre deux clients ou sur l’heure du dîner, pour les aider à devenir de bons médecins. On parle trop peu de ces médecins qui suivent leur patient endeuillé aux deux à quatre semaines pendant plus d’un an pour leur redonner le goût de vivre. Ou encore de cette dame connue depuis sept ans qui perd subitement son conjoint de 80 ans, et qui est vraiment contente que son médecin l’appelle pour lui offrir ses condoléances. On ne parle pas assez de ces médecins qui se débattent pour garder leur patient hospitalisé pour des raisons de misère sociale alors que le système exige de le faire sortir le plus vite possible, car tout l’hôpital déborde.

Je suis un de ces médecins. Ce sont des cas réels. Je suis médecin de famille et médecin-enseignant depuis huit ans. J’ai également été directrice de ma clinique, une unité d’enseignement de médecine familiale, pendant quatre ans et je suis chef du service de médecine générale de mon territoire depuis plus d’un an. Tout cela en ayant d’autres implications en gestion dans les dernières années, et en demeurant une femme active sur les réseaux sociaux de mes collègues médecins pour suivre leurs commentaires sur leur pratique. Les changements des dernières années, je les ai non seulement vus et vécus, mais je les ai également gérés. Je crois donc parler sincèrement en connaissance de cause.

Depuis des mois, je suis inquiète. Je suis inquiète de la réputation de la médecine familiale et de la médecine en général et du changement dans notre rôle que le ministère et notre ministre semblent avoir actuellement. Je suis inquiète quand je passe des entrevues d’admission en médecine familiale et que je sens une inquiétude, une peur, de devenir médecin de famille chez les externes, les étudiants qui font actuellement leur choix de carrière. Je suis inquiète quand je lis trop peu de choses qui remettent en question les changements réalisés récemment. Je suis inquiète lorsque je dois vendre à mes collègues et mes futurs collègues que « monsieur Barrette peut changer ce qui se passe autour de nous, mais pas encore ce qui se passe entre moi et mon patient », mais parfois sans trop de conviction, car malgré toute ma passion pour mon métier et mon désir d’aider mes patients, moi aussi je commence à douter et à perdre confiance en mon système de santé. Serais-je encore en position et en capacité d’aider mes patients ? Ou devrais-je moi aussi mettre un compteur pour limiter la durée de mes consultations et faire essentiellement du sans-rendez-vous avec mes patients ?

Oui, nous enseignons déjà l’empathie. Toutefois, il faut certaines conditions pour réussir à garder la place et le temps de l’empathie dans nos soins. Conditions qui sont en train de disparaître actuellement par la pression des changements, la pression d’atteindre des statistiques de délais de consultation, la pression d’éviter les pénalités dans nos cliniques. Des conditions qui en épuiseraient plusieurs, mais aussi des médecins. Je suis encore plus inquiète quand on sait que le taux de détresse chez les médecins a explosé depuis que le ministre Barrette est au pouvoir et qu’on ne lit que peu de bonnes choses sur nous, les « méchants médecins sans empathie ».

Mais je garde espoir. Je vous le dis sincèrement, gardez espoir en vos médecins et vos équipes de soins qui tentent de faire toujours plus avec moins. Oui, nous avons nos défauts, nous sommes d’abord et avant tout des humains, donc imparfaits comme dans toutes les professions. Dites MERCI à ceux qui prennent le temps de bien vous soigner, pour leur faire garder la passion de vous aider. Et nous vous disons MERCI de votre patience envers notre système de santé qui tente réellement de garder le cap dans la tempête « Barrette » qui fait tout un peu trop vite. Nous travaillons vraiment fort pour votre bien et pas seulement pour le nôtre.

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