INTERNET HAUTE VITESSE

Les promesses des partis

Parti libéral 500 millions pour brancher tous les foyers québécois d’ici 2020

Coalition avenir Québec 400 millions pour brancher tous les foyers québécois d’ici 2022

Parti québécois Brancher tous les foyers québécois ; échéancier non dévoilé

Québec solidaire 2,5 milliards pour un réseau public d’accès à internet haute vitesse

MRC d’Arthabaska

Sans mobile ni Internet

Alors que les partis politiques multiplient les promesses de « brancher les régions » à l’internet haute vitesse, des secteurs comme la MRC d’Arthabaska sont toujours privés de fibre optique et de couverture cellulaire, compliquant ainsi la vie des entreprises. Excursion en banlieue du numérique.

Logée dans la rue Principale de Sainte-Hélène-de-Chester, à deux pas de l’église et du bureau de poste, la fromagerie La Moutonnière ne semble qu’un tout petit comptoir de vente.

Dans un présentoir réfrigéré, quelques échantillons de fromage de brebis, comme le Foin d’odeur et le Fleurs des Monts, attendent de rares clients.

La Moutonnière est pourtant une « micro-multinationale », selon la formule inventée par un économiste de Google : l’entreprise à laquelle est annexée une ferme de 200 brebis produit annuellement plus de 12 tonnes de fromage qu’elle exporte dans toute l’Amérique du Nord, et même en France. Elle a remporté des prix de manière ininterrompue depuis 2003 aux événements organisés aux États-Unis par la Société américaine du fromage.

« Depuis sept ou huit ans, nos affaires se brassent presque exclusivement sur l’internet », dit Lucille Giroux, qui a fondé La Moutonnière dans la petite municipalité d’Arthabaska voici 25 ans. « Les commandes, les ventes, la facturation, la banque, la paperasse du gouvernement… », énumère-t-elle.

La Moutonnière est cependant l’une des seules entreprises de la région à avoir accès à l’internet par fibre optique, grâce à sa proximité de l’hôtel de ville, lui aussi branché par l’entreprise Télébec à un réseau d’à peine 3 km2.

Au sud du Saint-Laurent, hormis le Bas-du-Fleuve, la région d’Arthabaska où se trouve Sainte-Hélène-de-Chester est la MRC la plus dépourvue en matière d’accès à l’internet haute vitesse, un enjeu redevenu d’actualité dans le cadre de la présente campagne électorale au Québec. Le secteur, couvert de collines et peu peuplé, est pourtant situé près de centres régionaux comme Victoriaville et Thetford Mines.

Alors que les partis politiques promettent – encore ! – de consacrer des centaines de millions de dollars pour « brancher les régions », le tiers des 139 foyers de Sainte-Hélène-de-Chester sont considérés comme peu ou mal desservis selon les normes d’Industrie Canada. Ils n’ont accès au web que par ligne téléphonique, ou à travers la transmission satellite, parfois vulnérable aux conditions climatiques. Dans la municipalité voisine de Saints-Martyrs-Canadiens, cette proportion frôle les 90 %.

« Ça fait quelques gouvernements qui nous disent : “Dans deux ans, ça va être fait ! Vous allez être branchés !” Mais ça ne se fait pas, alors on a décidé de se prendre en main. »

— Lionel Fréchette, maire de Sainte-Hélène-de-Chester

En collaboration avec 14 autres municipalités de la MRC d’Arthabaska, le village compte investir 20 millions de dollars pour installer un réseau de télécommunication à large bande par fibre optique.

« Que le gouvernement nous subventionne ou pas, on a décidé d’aller de l’avant », dit M. Fréchette, qui compte près de 30 ans d’implication en politique municipale.

Des ingénieurs seront embauchés d’ici la fin de l’automne pour produire un plan détaillé de l’installation. Une fois construit, le réseau sera loué aux entreprises de télécommunication qui désirent offrir leurs services aux citoyens et entreprises de la région.

« En ayant un réseau de fibre optique, on espère que ce sera ensuite plus facile de construire des tours de transmission cellulaire », dit aussi le maire.

C’est que la MRC est un véritable trou noir en matière de téléphonie mobile. Aucune des grandes télécoms canadiennes ne dessert les zones rurales de la région de 1900 km2. Le signal cellulaire s’éteint peu à peu lorsque l’on s’enfonce dans ce territoire majoritairement agricole en suivant la route 263 vers l’est, pour disparaître complètement après Saint-Norbert d’Arthabaska.

« La décision d’affaires d’élargir la couverture dans des zones à faible densité est toujours un défi en termes de rentabilité », indique Marie-Eve Francoeur, porte-parole de Télébec. L’entreprise de télécommunication, qui couvre une majorité des régions périphériques du Québec, n’a pas l’intention d’améliorer le réseau cellulaire dans le secteur d’Arthabaska, dit-elle.

« Je ne compte plus le nombre de fournisseurs qui se sont perdus en tentant de nous livrer du matériel », dit Maryse Ouellette, une femme d’affaires qui a vendu sa maison pour investir 1 million de dollars, avec quatre coactionnaires, dans un projet d’auberge et de spa à Sainte-Hélène-de-Chester, sa ville natale.

« Les applications de navigation comme Google Maps ne fonctionnent pas sans signal cellulaire, et les livreurs ne peuvent pas nous appeler ! Ça m’a compliqué aussi pas mal la vie de ne pas avoir de cellulaire sur le chantier : je dois coordonner 15 corps de métier ! »

— Maryse Ouellette, femme d’affaires de Sainte-Hélène-de-Chester

***

Gervaise Lafrance, 78 ans, a fondé avec son mari Clément voici près d’un demi-siècle l’entreprise d’excavation qui porte son nom. Elle emploie aujourd’hui huit enfants et petits-enfants, dit-elle avec fierté.

« Tous nos employés ont des cellulaires », dit celle qui agit encore comme répartitrice pour l’entreprise familiale. « Mais on a bien de la misère à les rejoindre… »

La couverture de téléphonie cellulaire dans la région, aussi trouée qu’un gruyère, l’oblige à connaître par cœur les endroits où l’on trouve du signal – « dans le rang 6, ça pogne, même chose à Irlande, mais pas dans le rang Allaire à Trottier… » – et à quel moment ses camionneurs risquent de s’y trouver. « Ça retarde nos décisions et ça nous empêche de bien coordonner les camions », dit-elle.

Le maire de Sainte-Hélène-de-Chester donne aussi en exemple les entreprises laitières et acéricoles qui ont adopté de nouvelles technologies comme des robots trayeurs et des systèmes de vide automatisés. Ces derniers remplacent maintenant les vieux chalumeaux et chaudières dans les érablières.

« Ce sont des technologies que l’on peut contrôler à distance, à l’aide de son téléphone intelligent, explique M. Fréchette. Or les agriculteurs ne peuvent pas les utiliser. »

À la ferme Berlaire, située à flanc de colline dans les hauteurs de Sainte-Hélène-de-Chester, l’internet n’a toujours pas droit de cité dans l’entaille de 6500 érables.

« On se débrouille comme on peut, dit la copropriétaire Sonia Rondeau. On n’a jamais connu rien d’autre en 32 ans d’opération, alors ça ne nous dérange pas ! »

Les enfants de Mme Rondeau ont aujourd’hui quitté la ferme familiale pour s’établir dans le village de Saint-Rosaire, où passe désormais la fibre optique. Mais ils ne sont toujours pas branchés au web. « Ils veulent que leurs enfants aient la même jeunesse qu’eux, qu’ils arrivent à s’amuser sans tablettes ni cellulaires. Ils refusent internet dans leur maison. »

Mme Rondeau balaie le paysage du regard, les champs et les forêts de Sainte-Hélène où seules paissent quelques vaches. « On a la paix ici. On en paye le prix, mais on a la paix. »

Combattre la pénurie de main-d’œuvre

L’augmentation de la productivité est un enjeu particulièrement criant dans Arthabaska : la région connaît une pénurie grandissante de main-d’œuvre. La population vieillit, tandis qu’une solide croissance économique ramènera le taux de chômage sous le seuil du plein emploi d’ici 2019, selon une note récente de Desjardins.

Accroître le taux de pénétration de l’internet haute vitesse de 10 % ajoute 1 point de pourcentage à la croissance du PIB d’une région, estime une étude internationale présentée dans le cadre du Forum économique mondial de Davos.

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