Marché immobilier québécois

Une année exceptionnelle… malgré tout

Avec la hausse des taux d’intérêt et le resserrement des règles hypothécaires, il est plus difficile de contracter une hypothèque depuis janvier 2018. Soutenu par l’emploi, le marché immobilier résidentiel québécois se porte pourtant à merveille au moment où s’amorce le dernier trimestre de l’année.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATEUR SAMUEL LAROCHELLE

Des règles qui bousculent

Le marché immobilier se porte bien. Or, la hausse des taux et le resserrement des règles hypothécaires font quand même sentir leurs effets. Les changements ont poussé Noémie St-Amour et Jean-Philippe Perron à acheter un chalet et conserver leur appartement, plutôt que d’acquérir une maison. Pour les mêmes raisons, Benoit Rollin hésite à acquérir un condo à Gatineau.

Depuis janvier 2018, les acheteurs doivent avoir les reins plus solides pour devenir propriétaires en passant une simulation de crise afin d’obtenir un prêt. Ces nouvelles règles visaient surtout à tempérer les marchés immobiliers hors de contrôle de Vancouver et de Toronto.

La réalité est différente au Québec, selon l’économiste Paul Cardinal, de la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ). « Dans les deux autres grands marchés canadiens, plusieurs acheteurs évitaient de passer la simulation de crise en empruntant leur mise de fonds, ce qui ne les empêchait pas d’être à risque si les taux augmentaient. Au Québec, nous n’avions pas d’échos d’acheteurs qui adoptaient cette stratégie. »

N’ayant pas anticipé de grands impacts négatifs en province, il cite la hausse de 4 % du nombre de transactions pour prouver ses prédictions. « L’année 2018 battra le record absolu du nombre de transactions au Québec », dit-il.

Acheter moins cher

Aux yeux de Dominic St-Pierre, directeur chez Royal LePage, les conséquences sont relativement mitigées au Québec. « Certaines personnes qui auraient acheté ne l’ont pas fait, d’autres ont retardé leur achat pour accumuler une mise de fonds. » Sans oublier ceux qui ont modifié leurs critères à la baisse. « Une personne qui se qualifiait auparavant pour un prêt de 120 000 $ s’est qualifiée après les règles pour un prêt de 100 000 $, illustre-t-il. Les effets ont donc été plus marqués pour ceux qui voulaient acheter en allant au bout de leurs limites financières. »

Noémie St-Amour et Jean-Philippe Perron ne voulaient justement pas investir tous leurs avoirs dans une maison. Ayant déjà été propriétaires, ils savent à quel point les paiements hypothécaires peuvent être imposants. « En faisant des recherches, on a vu qu’il n’y avait rien en bas de 200 000 $ dans notre secteur », explique Mme St-Amour.

« Comme les règles se resserraient et que les taux augmentaient, on ne voulait pas être pris à la gorge avec nos mensualités. On a donc complètement changé nos plans. »

— Noémie St-Amour

Le rêve d’acheter une maison unifamiliale à Saint-Basile-le-Grand a disparu. « On a vu bien vite qu’on ne pourrait pas accumuler la somme nécessaire pour acheter maintenant, ajoute-t-elle. On a donc acheté un chalet à Notre-Dame-des-Bois qui demandait une mise de fonds et une hypothèque vraiment moins élevées. On est très heureux de notre décision. »

Pouvoir d’achat en déclin

Si elle juge les taux d’intérêt relativement bas, Nancy Forlini, courtière chez REMAX, comprend les craintes des acheteurs face à leurs capacités d’emprunt. « Même si leur taux est de 3,5 %, ils doivent se qualifier quasiment pour du 6 %, souligne-t-elle. Ça réduit parfois leur pouvoir d’achat de 40 % ! »

Elle observe également que plusieurs acheteurs doivent ajouter un endosseur sur la demande hypothécaire, en raison du resserrement des règles. « C’est plus fréquent qu’avant », dit-elle. Pourtant, les affaires sont bonnes.

« Le pouvoir d’achat n’est plus le même, mais le marché est tellement fort qu’on n’a pas senti d’effet négatif. »

— Nancy Forlini, courtière

Le son de cloche est différent du côté de certains particuliers.

Benoit Rollin, qui désire acheter en solo un condo ou une maison près de son emploi dans le secteur Île de Hull, à Gatineau, affirme que les nouvelles règles et les taux plus élevés ont ralenti sa recherche. « Il y a deux ans, je pouvais me permettre entre 30 000 et 40 000 $ de plus, dit-il. Maintenant, je dois revoir mon prix à la baisse et élargir mon rayon d’achat. »

Lui qui se rend au travail à pied ou en vélo envisage désormais le secteur Lac des fées, rejoignable par un trajet d’autobus de 10 minutes. « C’est acceptable, mais je n’ai pas envie d’aller plus loin. » Malgré tout, l’homme au milieu de la trentaine souhaite faire l’investissement qui lui conviendra. « J’aimerais ne plus avoir de loyer ni d’hypothèque à payer à la retraite, donc le plus tôt sera le mieux, mais je ne veux pas acheter seulement pour acheter. Avec l’état actuel des choses, je n’achète pas. »

Pire pour le refinancement

De nombreux acheteurs hésitent désormais à passer à l’action. Mais selon Denis Doucet, directeur chez Multi-Prêts Hypothèques, les achats ont été moins durement touchés que les refinancements hypothécaires. « Les taux d’intérêt en refinancement sont généralement plus élevés qu’en achat pour une situation financière et un montant équivalents, observe-t-il. Le volume de ventes n’a pas ralenti, mais certaines personnes qui ont acheté il y a trois ou quatre ans, avec les anciennes règles, n’auront jamais remboursé assez de capital pour un refinancement, en raison des nouvelles règles. »

Il prouve ses dires avec un calcul réalisé en prenant pour exemple des revenus familiaux bruts de 100 000 $, un paiement mensuel des dettes de 1000 $ et des taxes foncières annuelles de 4000 $.

En septembre 2017, avec une mise de fonds de 5 % et un dossier d’achat assuré (SCHL, Genworth ou Canada Guaranty), la capacité maximale d’emprunt de cette famille était de 370 307 $. Aujourd’hui, elle n’est que légèrement inférieure, à 363 216 $.

Or, en septembre 2017, le dossier de la même famille dégageait, en refinancement (non assuré), une capacité d’emprunt de 461 853 $. Avec les nouvelles règles instaurées en janvier 2018, la capacité a chuté à 363 316 $. Ce même exemple pourrait s’appliquer pour un achat avec au moins 20 % de mise de fonds.

« On a sécurisé un taux avant la hausse ! »

À l’automne 2017, l’annonce de la hausse des taux d’intérêt a créé un empressement chez Anne-Marie Arel-Dubeau et son copain Marc-André Labrie-Bélair. Ils ont contacté leur courtier hypothécaire en vitesse pour sécuriser leur taux.

L’ajustement du taux directeur de la Banque du Canada était nécessaire, selon Dominic St-Pierre. « On partait de 0,5 %, ce qui est un pourcentage digne d’une situation de crise, explique le directeur chez Royal LePage. Comme on ne l’est plus, c’était totalement justifié de réajuster. »

Économiste à la Fédération des chambres immobilières du Québec, Paul Cardinal croit que les effets de cette hausse se feront sentir davantage en 2019, ce qui ralentira un peu le rythme des transactions. « Ça peut sembler contre-intuitif, mais quand les taux commencent à augmenter, ça envoie le signal aux gens qui envisageaient d’acheter depuis longtemps qu’il vaut peut-être mieux se dépêcher à acheter maintenant, avant que ce soit encore plus élevé. »

Il précise que les deuxièmes acheteurs et ceux qui avaient déjà amassé leur mise de fonds ont possiblement été convaincus de passer à l’action. « On croit que les deuxièmes acheteurs sont vraiment ceux qui ont fait augmenter le nombre de transactions cette année. À l’inverse, les premiers acheteurs dépendent de leur capacité à amasser leur mise de fonds et à passer le stress test. »

Premiers acheteurs, Mme Arel-Dubeau et son conjoint voulaient s’établir dans un condo à Saint-Hubert. « On avait commencé à regarder le marché, la ville, le quartier, explique-t-elle. Puis, un ami nous a dit que les taux allaient monter à nouveau. On s’est donc arrangés pour sécuriser un taux fixe de 3,04 % pour cinq ans, en mars 2018. »

Ainsi, ils avaient l’obligation de signer un acte d’achat dans les trois mois suivants.

« C’était un peu stressant d’avoir à trouver rapidement. Il a fallu embrayer ! »

— Anne-Marie Arel-Dubeau

Heureusement, en juin 2018, ils sont devenus propriétaires.

Les amoureux ont donc fait leurs devoirs, contrairement à plusieurs acheteurs, selon Nancy Forlini, courtière chez REMAX. « Malheureusement, plusieurs personnes font des recherches et des promesses d’achat, avant de s’être qualifiées pour un prêt, dit-elle. Avec l’augmentation des offres multiples, certains acheteurs se dépêchent à faire des offres. Puis, ils réalisent qu’avec leurs états financiers et les taux actuels, ils doivent changer leurs critères. »

Des reprises de créance en baisse

Dans la foulée des changements imposés par Ottawa, l’accès à la propriété est plus complexe cette année, mais les propriétaires semblent pourtant faire face à moins de difficultés qu’auparavant. Selon la firme JLR, les reprises de propriétés par les créanciers ont baissé de 8 % en un an, alors que les avertissements ont chuté de 14 %.

La situation s’explique par une économie en santé et un taux de chômage très bas, selon Joanie Fontaine, économiste chez JLR. « Moins on a de risques de perdre un emploi, moins on a de problèmes à payer sa propriété. »

« Lorsqu’une personne est prise à la gorge, elle arrive généralement à vendre vite pour rembourser ses créanciers, puisque le marché immobilier est en croissance. »

— Joanie Fontaine, économiste

Directeur chez Royal LePage pour la région de Québec, Dominic St-Pierre croit que le marché de l’emploi n’est pas le seul responsable de la baisse des reprises. « Les institutions financières et les entreprises d’assurance hypothécaire sont de plus en plus flexibles et tentent de trouver des solutions avec leurs clients, plutôt que de reprendre leur propriété. »

Cela dit, le nombre de reprises de créance au Québec n’a aucune commune mesure avec la situation aux États-Unis. « Ça représente moins de 1 % des ventes résidentielles au Québec, contre presque 15 % aux États-Unis, affirme M. St-Pierre. On remarque une baisse ici, mais on en a très peu en général. »

Une observation confirmée par sa collègue économiste Joanie Fontaine. « Depuis 12 mois, on a calculé 1881 délaissements de propriété dans l’ensemble du Québec en raison d’une reprise de créance et on en a déjà plus de 3000 pour une période similaire. Ce n’est pas hyper fréquent chez nous. »

En revanche, elle reste prudente pour l’avenir. « Avec la croissance des taux d’intérêt, le refinancement des hypothèques qui arrivent à terme va peut-être causer des maux de tête à certains propriétaires et mener à une augmentation des reprises de créance. »

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